Cinq jours d’un cocktail mortel dans l’air londonien : charbon, pollution et négligence.
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© Elīna Arāja / Pexels 𝕏
Dans l’histoire des catastrophes environnementales, le Great Smog de Londres est certainement l’un des épisodes de pollution les plus meurtriers de l’histoire. La capitale britannique était alors un centre industriel majeur, avec de nombreuses usines et centrales thermiques au charbon qui émettaient d’importantes quantités de particules fines, de dioxyde de soufre et d’autres polluants. La majorité de ses habitants se chauffaient aussi au charbon ; de très mauvaise qualité ; pour contrer les températures rigoureuses de l’hiver anglais.
Ce combustible, combiné à une densité de population élevée et à une activité industrielle intense, a libéré d’importantes quantités de polluants dans l’atmosphère, transformant l’air en un véritable poison. Entre le jeudi 4 au mardi 9 décembre 1952, l’impensable s’est produit : 12 000 personnes ont perdu la vie et 100 000 sont tombés gravement malades. Le Great Smog fut un événement presque cataclysmique, qui a constitué un cas d’école exceptionnel pour la compréhension des phénomènes de pollution atmosphérique urbaine.
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Inversion thermique : la bombe à retardement qui a asphyxié Londres
Pour comprendre l’épisode du Great Smog, il faut d’abord analyser les conditions météorologiques que connaissait Londres à cette période. Le 4 décembre 1952, un anticyclone particulièrement stable s’installe au-dessus de la capitale britannique. Ce système météorologique a engendré une inversion thermique caractérisée : une couche d’air chaud en altitude, agissant comme un couvercle thermique, a emprisonné une masse d’air froid au niveau du sol. Les températures chutèrent brutalement, atteignant -2 °C en surface.
Les études thermodynamiques menées par le Meteorological Office britannique ont mis en évidence un gradient de température inverse jusqu’à 500 mètres d’altitude : l’air se réchauffe de 2° C tous les 100 mètres, contrairement au gradient habituel de -1 °C/100. Cette configuration atmosphérique inhabituelle a bloqué toute dispersion verticale des polluants, créant une véritable chambre de réaction chimique à l’échelle urbaine. Ces derniers sont ainsi restés piégés au niveau du sol, augmentant considérablement leur concentration.
Un air saturé par des polluants mortels
S’en est suivi une cascade de réactions chimiques ; le dioxyde de soufre (SO2), émis massivement par la combustion du charbon domestique et industriel, a subi une série de transformations. En raison de la présence d’un fort taux d’humidité atmosphérique et de catalyseurs métalliques (principalement du fer et du manganèse issus des émissions industrielles), le SO2 s’est oxydé en trioxyde de soufre (SO3).
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000Les concentrations en SO2 ont rapidement des niveaux stupéfiants : 3,4 ppm en moyenne, avec des pics localisés à 4,2 ppm dans certains quartiers industriels. Pour référence, la norme actuelle de l’OMS fixe le seuil d’alerte à 0,5 ppm sur une heure. Les analyses des archives médicales ont révélé une corrélation parfaite entre ces concentrations et la distribution spatiale de la mortalité.
Le SO3 a réagi instantanément avec l’eau présente dans l’atmosphère pour former de l’acide sulfurique (H2SO4). Cet acide sulfurique, extrêmement corrosif, a été l’une des principales causes des dommages aux poumons et aux voies respiratoires des Londoniens. Il s’est mêlé aux particules en suspension dans l’air, formant des aérosols acides.
La formation d’aérosols secondaires a amplifié le phénomène. Les particules de suie, dont le diamètre varie entre 0,1 et 10 µm (micromètres), ont servi de noyaux de condensation. Elles ont catalysé la formation de gouttelettes d’acide sulfurique en suspension, créant un brouillard corrosif d’une densité à peine croyable. Dans les zones les plus touchées, on ne voyait pas à plus de 30 cm devant soi.
Résultat : les Londoniens ont donc respiré un mélange extrêmement toxique d’air et cette inhalation prolongée de substances irritantes et corrosives a entraîné de graves effets sur leurs organismes. Toux, difficultés respiratoires, sensation d’oppression thoracique, bronchites, et dans les cas les plus graves, des œdèmes pulmonaires.
Les yeux, la gorge et les voies nasales ont été particulièrement affectés par l’acidité de l’air, provoquant des conjonctivites, des rhinites et des pharyngites. Les particules fines ont pénétré profondément dans les poumons et sont dans la circulation sanguine, augmentant ainsi le risque d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux. Une véritable hécatombe.
La catastrophe a contraint le monde politique à agir. Les scientifiques, dont les voix étaient jusqu’alors peu écoutées, ont finalement été entendus. Sous la pression de l’opinion publique, le Parlement a adopté en 1956 le Clean Air Act, marquant un tournant dans la politique énergétique du pays. L’introduction de zones sans fumée, le contrôle strict des émissions industrielles et la modernisation des systèmes de chauffage ont entraîné une réduction spectaculaire des émissions de particules : – 76 % en une décennie, passant de 250 μg/m³ en moyenne annuelle à 60 μg/m³.
Le Great Smog a marqué l’histoire britannique d’une empreinte indélébile, mais malheureusement, la pollution de l’air est toujours un phénomène d’actualité. De nombreux pays restent encore aujourd’hui sous la menace d’épisodes aussi dangereux. La Chine, l’Inde et les pays du Sud-Est asiatique sont particulièrement concernés et des mégapoles comme Delhi, Pékin ou Jakarta sont régulièrement en proie à des épisodes de pollution extrême. Selon l’UNICEF : « La pollution atmosphérique a un impact de plus en plus important sur la santé humaine, constituant le deuxième facteur de risque de décès dans le monde […] et a été à l’origine de 8,1 millions de décès dans le monde en 2021 ». Bien que des progrès aient été réalisés, nous sommes donc très loin de prétendre respirer un air sain et même la France est concernée, avec « 40 000 décès attribuables chaque année aux particules fines » selon Santé Publique France.
- Le Great Smog de Londres en 1952 a été causé par une combinaison d’inversion thermique, de pollution industrielle et de l’usage intensif de charbon, créant un brouillard extrêmement toxique.
- Ce brouillard a entraîné des milliers de morts et des maladies respiratoires graves, en raison des particules fines et des composés acides.
- Cet événement a conduit à des réformes majeures sur la qualité de l’air au Royaume-Uni, bien que la pollution reste un problème critique à l’échelle mondiale de nos jours.
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