Un désert né d’une mer : quand l’avidité humaine efface un écosystème en quelques décennies.
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© Ivars Krutainis / Pexels 𝕏
Dans les années 1960, elle étendait ses eaux scintillantes sur 68 000 km², faisant d’elle la quatrième plus grande étendue d’eau intérieure au monde. La mer d’Aral rythmait alors la vie de milliers de familles, nourrissant les populations locales de ses poissons abondants et régulant le climat régional.
Aujourd’hui, ce joyau aquatique n’est plus qu’un souvenir, remplacé par un paysage lunaire où s’amoncellent les squelettes rouillés des bateaux de pêche. De sa surface originelle, il ne subsiste qu’une maigre étendue de 8 000 km², tandis que le reste de son lit asséché a donné naissance à un nouveau désert à la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan: l’Aralkum.
Le désert d’Aralkum s’étend sur environ 50 000 km². © Capture d’écran / Google Maps
Un désert toxique
L’Aralkum n’est pas un désert comme les autres. Chaque bourrasque qui balaie son étendue soulève un cocktail mortel de particules toxiques, résultat d’un passé industriel peu scrupuleux. Entre 1984 et 2015, ces émissions ont presque doublé, passant de 14 à 27 millions de tonnes métriques annuelles. Ces poussières transportent un mélange létal de résidus d’armes chimiques soviétiques, de pesticides agricoles et d’engrais industriels.
Voilà ce qu’il reste du lit principal de la Mer d’Aral. © upyernoz / Flickr
Ces particules voyagent de plus sur des distances vertigineuses, jusqu’à 800 km de leur source d’émission. Lorsque les tempêtes de sable se soulèvent, elles détruisent les cultures, contaminent les nappes phréatiques et s’infiltrent dans les poumons des habitants. En raison de leur composition chimique, elles accélèrent aussi la fonte des glaciers environnants. Le pire dans tout cela, c’est que ce désert ne s’est pas formé naturellement ; il est d’origine humaine, ce qui rend cette histoire encore plus tragique.
L’agriculture intensive : le prix du coton blanc
Pourquoi la Mer d’Aral s’est retiré aussi rapidement ? En effet, à l’échelle géologique, il est tout simplement impensable que cela se produise sous la seule force de facteurs environnementaux. Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter dans les années 1960. Une période où l’Union soviétique, dans sa quête de puissance agricole, entrepris alors un projet titanesque : la transformation de l’Asie centrale en royaume du coton. Les fleuves Amou-Daria (qui prend sa source au Tadjikistan) et Syr-Daria (Kirghizistan), artères millénaires qui alimentaient la mer d’Aral, ont été détournés pour irriguer 7 millions d’hectares de champs de coton.
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Le plancton a disparu, ce qui a mené à la disparition des poissons qui vivaient dans ces eaux. Esturgeons, carpes ou brèmes, toutes ces espèces endémiques se sont évanouies graduellement. Cette extinction locale a également entraîné la disparition des oiseaux migrateurs qui trouvaient refuge sur ces rives poissonneuses. Ce carrefour vital de la biodiversité a ainsi disparu en quelques décennies (voir la vidéo timelapse de Google Earth ci-dessous).
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Pour les communautés riveraines, qui dépendaient principalement de la pêche pour leur subsistance, cette catastrophe écologique les a menées droit dans le mur. Les ports se sont transformés en cimetières de bateaux, les conserveries ont fermé leurs portes et les marchés aux poissons se sont vidés. Le mode de vie de toute une population s’est évaporé aussi sûrement que les eaux de la mer elle-même.
Un avertissement pour l’humanité
Les répercussions sanitaires de cette disparition sont toujours d’actualité. Les médecins observent une augmentation alarmante des malformations congénitales chez les nouveau-nés et une multiplication des pathologies respiratoires chez les adultes. Face à cette situation, les gouvernements régionaux, soutenus par l’Union européenne et l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), tentent de stabiliser ce désert toxique par la végétalisation.
Les scientifiques locaux mènent une course contre la montre pour identifier et cultiver des espèces végétales capables de survivre dans ces conditions extrêmes. Leur mission : créer une barrière végétale naturelle pour contenir la dispersion des poussières toxiques.
Pour Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, la disparition de la Mer d’Aral représente « l’une des plus grandes catastrophes environnementales au monde ». Un avertissement d’autant plus fort que des scénarios similaires se dessinent aux quatre coins du globe. Des lacs et systèmes hydriques s’assèchent en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe, en Australie et aux États-Unis, victimes de la même combinaison mortelle : agriculture industrielle intensive et changements climatiques. Dame Nature ne nous pardonne décidément pas toujours nos erreurs, et même 60 ans plus tard, il est plus que probable qu’une tragédie de la même ampleur se réitère.
- L’assèchement de la mer d’Aral a transformé une oasis de vie en un désert toxique d’origine humaine.
- Le détournement des fleuves pour la culture du coton a anéanti l’écosystème et détruit les moyens de subsistance locaux.
- Les conséquences sanitaires et environnementales de ce projet datant de l’URSS perdurent encore aujourd’hui.
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