Marguerite Long, ou l’ascension d’une jeune fille modeste vers les sommets parisiens. CC BY SA
Modeste provinciale devenue marquise et virtuose, la star du piano au XXe siècle a traversé la Belle époque et les deux guerres mondiales, rayonnant dans la haute société.
Chic, élégante, virtuose, moderne, pédagogue… Ainsi allait Marguerite Long, marquise à ses heures, volontiers insupportable, brillante comme pas possible. Ses pouces “semblaient faits en caoutchouc“, avait lancé son rival de l’époque, Alfred Cortot.
Elle fut “la pianiste française la plus marquante” du XXe siècle, résume sa biographe, Cécilia Dunoyer de Segonzac, et figurez-vous qu’elle était Nîmoise.
Elle naît le 13 novembre 1874 – on a fêté il y a trois semaines le 150e anniversaire de sa naissance avec une exposition et une conférence à Nîmes –, au 14 Grand rue, avant que la famille déménage rue Pavée. À quatre pattes, elle essayait de compter les étoiles et admirait les fleurs – passion qui lui est restée toute sa vie – que son père bichonnait dans le jardin.
Projetée dans le grand monde
Comment cette enfant des joies simples, cette provinciale, fille d’un employé des chemins de fer, a-t-elle été projetée dans le grand monde, le Tout-Paris ? De sa réussite, elle doit une part à sa sœur Claire, de huit ans son aînée, qui lui a transmis la fibre musicale. Jeune professeur de piano au conservatoire de Nîmes, elle a sa cadette en cours.
La benjamine a onze ans quand elle rafle un prix d’honneur du conservatoire pour sa première apparition publique.
Parents “effrayés”
L’année d’après, un inspecteur national des conservatoires, Théodore Dubois (futur directeur du conservatoire de Paris), la repère lors d’une audition nîmoise. Il veut qu’elle intègre le conservatoire de Paris. Ses parents, “trop effrayés“, mettent leur veto. Mais il revient à la charge l’année d’après. Et lance à sa mère : “On n’a pas le droit, Madame, de laisser cette enfant à Nîmes. Elle sera une très grande pianiste.”
Marguerite intègre le cours préparatoire du conservatoire de Paris l’année d’après, à 14 ans. Boursière, logée dans un couvent, sa vie est monacale et musicale. “Elle ne sortait jamais, sauf trois fois par semaine avec un chaperon pour aller à ses cours du conservatoire“, raconte sa biographe dans le livre Marguerite Long, un siècle de vie musicale française.
Elle est prise sous son aile par un professeur de piano, Madame Garnier-Gentilhomme, qui l’introduit dans le milieu parisien des artistes. À 17 ans, comme une fleur qui s’ouvre, elle est “enfin libérée du carcan du couvent, elle sort beaucoup, monte à cheval, fait du patin à glace et va au bal“.
En 1898, la notoriété s’affirme. Des compositeurs commencent à écrire des morceaux pour elle, éblouis par ses facilités techniques, parce que leurs œuvres “brillent sous ses doigts“.
Rencontre sentimentale autour de Fauré
Marguerite Long a 20 ans. Elle passe ses étés chez sa sœur, qui s’est mariée et qui vit maintenant à Castelnaudary. Une figure de la ville, le médecin François de Vésian, organise des journées musicales dans son château. Elle y joue du Beethoven et du Listz. Un jeune officier saint-cyrien, le marquis Joseph de Marliave, lui réclame une œuvre de Gabriel Fauré, l’un de ses amis.
Elle décline l’invitation. Elle n’a jamais travaillé ses pièces. Déçu, il ne lui en tient pas rigueur pour autant. Ils se marient trois ans plus tard, en 1906. La nouvelle marquise de Marliave a entre-temps appris à jouer du Fauré. Seule ombre au tableau, l’échec à obtenir un poste de professeur au conservatoire, alors même que Fauré en est devenu le directeur et qu’il est très proche du couple.
Marguerite Long : chic, élégante, moderne et virtuose. CC BY SA
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000Ce “lâchage“, souligne la musicologue montpelliéraine Sabine Teulon-Lardic, avait été pressenti par le compositeur Jean Roger-Ducasse : “J’ai peur qu’elle coure à une chute : on lui oppose son sexe, que ça ne s’est jamais fait“.
Elle l’obtiendra finalement en 1920, devenant la première femme à occuper ce poste. La Belle époque est stoppée net par la Première Guerre mondiale pour tous les Français et pour Marguerite en particulier : son mari est tué un mois après le déclenchement du conflit. Elle va avoir 40 ans. Elle vit trois ans en recluse et ne remonte sur scène qu’en 1917.
Le catch et la corrida
La suite est un festival. Tournées internationales, enregistrements de disques et enseignement ponctuent ces années jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Elle démissionne du conservatoire en 1940, après 34 ans d’activité, pour lancer une nouvelle école qu’elle crée avec le violoniste Jacques Thibaud.
Elle y supervise une armée de répétitrices et fonde un concours international prestigieux, qui porte toujours aujourd’hui son nom. Elle orchestre des cours d’interprétation publics, où se pressent pianistes en devenir et spectatrices illustres, comtesses ou femmes de ministres.
Marguerite Long se met en scène : elle soigne ses arrivées, toujours en retard, avec fourrure, chapeau, bijoux rutilants et grand bouquet de fleurs à la main… Peut-être les parfums qui lui restaient de son père et du jardin de la rue Pavée. Celle que l’on surnommait la Grande dame s’éteint à 91 ans le 13 février 1966, à Paris, un peu moins de 80 ans après son arrivée dans la capitale, sans qu’elle ait tout à fait perdu son accent du Midi.
Elle est enterrée à Nîmes, cimetière Saint-Baudile. Retour aux sources et aux souvenirs d’enfance : l’odeur des pins de la Tour Magne, le chant des cigales, la foule dans les arènes et le combat sur le sable, l’air du Toréador de Carmen parce qu’il fallait bien un peu de musique pour parfaire le décor. Marguerite Long aimait la corrida et le catch. “Un goût inné pour la lutte“, avait résumé son ancien élève Pierre Barbizet, chez cette Grande dame distinguée rompue à la haute société.
“Comme elle les maltraitait !”
Elle savait choisir ses répétitrices, "mais comme elle les maltraitait !", disaient ses anciens élèves, et combien elle les payait mal, réputée pour son "avarice". Les tarifs des cours, par contre, étaient très élevés.
"Marguerite Long était très habile à soutirer de l’argent aux gens qui étaient prêts à le dépenser, souligne Cécilia Dunoyer. Et cependant, elle était aussi capable de consacrer une journée entière à une élève sans en attendre un sou."
Beaucoup d’élèves étaient "terrorisés" par elle et pourtant tous convenaient combien elle leur avait apporté. Une main de fer dans un gant (pas toujours) de velours, pour une pianiste-pédagogue qui légua sa fortune pour que le concours qui porte son nom lui survive.
Fauré, Debussy, Ravel : les groupies de la pianiste
Marguerite Long a eu tout au long de sa vie le désir de faire corps avec la musique française contemporaine, en côtoyant de près les plus illustres compositeurs du moment. Fauré, Debussy et Ravel résonnent comme le tiercé de tête de la vie de la pianiste.
"Le premier, c’est ma jeunesse, ma vie heureuse, écrit-elle ; le second, la douleur et le retour sauveur à la musique ; et le troisième l’apogée d’une carrière vouée en partie à la musique française."
Elle est "considérée comme l’héritière incomparable" des trois compositeurs, tranche Cécilia Dunoyer. L’Ariégeois Gabriel Fauré d’abord, grâce à son mari Joseph de Marliavre, l’un de ses proches. Les liens se distendront quand Fauré recalera Long (lire ci-dessus), et un peu plus encore après 1914 et le décès de Joseph de Marliave. À la fin de sa vie, Fauré voudra recoller les morceaux. "Je voudrais mourir sans laisser une “rature” et revoir Marguerite Long", confie-t-il en 1924.
Dans son livre Au piano avec Fauré, Marguerite Long explique s’être exécutée : "Quand j’arrivais chez lui, le cœur battant, j’appris que ce même jour, à cinq heures du matin, Gabriel Fauré avait cessé de vivre".
En 1914, la pianiste rencontre Claude Debussy. Elle a découvert sa musique douze ans plus tôt, "la fraîcheur de ces pensées inconnues […], les harmonies étranges jamais entendues […], ce fut le plus grand bouleversement de ma vie", dit-elle. Mais elle a peur de jouer sa musique.
En 1914, donc, Debussy propose de travailler avec elle. Son mari la voit "interprète attitrée de Debussy", une perspective d’autant plus belle que "ça fera rager Fauré". Leur collaboration est fructueuse. "Ses doigts semblaient s’être démultipliés", déclare Debussy après un concert. Il meurt en 1918.
Elle avait remplacé Fauré par Debussy. Elle remplace Debussy par Ravel en 1919, qui lui fera un jour cette dédicace : "A Marguerite Long, recordwoman du Concerto". De santé fragile, Maurice Ravel finit par ne plus composer et s’éteint en 1937. Dès 1932, la Grande dame avait tourné son regard vers Darius Milhaud. Jamais à court de maîtres.