Le spécialiste du monde arabe Gilles Kepel revient sur la chute de Bachar Al-Assad et ses conséquences.
Comment analysez-vous la chute en dix jours d’un régime ayant tenu 54 ans ?
Cette chute de Bachar Al-Assad provoque un bouleversement de la région qui aura aussi des conséquences bien au-delà du Moyen-Orient. L’axe iranien qui allait de Téhéran à Beyrouth et Gaza via Damas est maintenant détruit. L’Iran a perdu successivement le Hamas, le Hezbollah et la Syrie d’Assad. Sa République islamique est donc aujourd’hui sur la sellette et son pouvoir est très affaibli. Au mieux, cela devrait entraîner une révolution interne avec la mise hors jeu du guide Ali Khamenei, malade et âgé de 85 ans, à moins que la situation ne devienne incontrôlable et dérive vers une guerre civile dans cet Iran entouré de “prédateurs”. Pour moi, il est d’ailleurs très frappant de voir se répéter là un vieux scénario. Dans cette région du Levant et de la Syrie du nord qu’on appelle la Jézireh, historiquement, quand les Persans reculent, les Ottomans avancent et vice versa. Mais là, le recul persan infligé l’est paradoxalement par les coups terribles qu’a portés Israël au Hamas, au Hezbollah et par ses frappes sur la République islamique. Tout cela a créé un vide dans lequel Erdogan s’est engouffré. Dans quelle mesure est-il capable de contrôler ce qui se passe ? C’est la question.
La Russie jurait qu’elle ne lâcherait jamais la Syrie. Va-t-elle négocier ses bases syriennes avec la Turquie ou les perdre ?
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000Les Russes vont probablement perdre leurs deux bases en Méditerranée orientale. Les six vaisseaux de Tartous ont pris la mer tout de suite et la base aérienne de Mmeimim est sous le feu des drones, aucun avion russe ne peut y rester sans risque. Ils vont négocier avec Erdogan, mais pour éviter que leurs soldats soient massacrés. Car il n’y a pas de raison qu’Erdogan leur laisse ces deux bases dans le berceau des Assad, la région alaouite au bord de la mer.
Les deux côtés appellent à un transfert pacifique du pouvoir. Y croyez-vous ?
Pour l’instant, il n’y a pas eu de massacres, des assurances ont été données aux minorités chrétiennes et les islamistes sont très attentifs à bien présenter aux yeux des Occidentaux et à éviter tout conflit immédiat avec Israël. Maintenant, derrière, ce sont des frères musulmans, ils sont sur une logique “turco- qatarie”. Et il ne faut pas oublier non plus qu’après 54 ans de pouvoir Assad sur la Syrie et, surtout, les milliers de personnes torturées et exécutées depuis treize ans, il va falloir gérer la question de l’épuration et des règlements de comptes que voudront les victimes et leur famille mais aussi celle du statut du territoire alaouite, retranché et surarmé, qui ne pourra pas être pris de force sans bain de sang.
Une partition de la Syrie avec le nord sous contrôle turc, un “État des Alaouites”, un État kurde tandis que les Israéliens ont investi la zone tampon du Golan… C’est l’un des scénarios ?
Les Kurdes tiennent la région pétrolière de la Syrie et ils ont avancé jusqu’à Deir el-Zor, c’est-à-dire qu’ils ont à peu près doublé leur territoire. Ils n’auraient pas pu le faire, sans les Américains. Cela va modifier la donne pour Trump qui voulait retirer ses troupes. Mais une partition est difficile à prévoir à ce stade, même si l’on voit bien que les supplétifs syriens de la Turquie ont chassé les Kurdes d’Alep et de sa région. Pour l’heure, l’enjeu principal va d’abord être la stabilisation du pouvoir.
Quelle réaction de Moscou et Téhéran à présent ?
Moscou est coincé parce que les Russes sont embourbés en Ukraine. Cela tombe très mal pour eux et pour Vladimir Poutine. Cela donne un peu le sentiment que la Russie est un colosse aux pieds d’argile tandis que ça va très mal pour l’Iran puisque les proxys qui lui servaient de bouclier sont tombés.
Dernier ouvrage paru de Gilles Kepel : “Le Bouleversement du monde, l’après 7 octobre”, Plon, 15 €. Je m’abonne pour lire la suite