L’usine de Vergèze a produit 1,3 milliard d’unités en 2023. M.A.
Un document révélé ce lundi 16 décembre par Le Monde et Radio France met en lumière la contamination des ressources en eau de l’usine Perrier, à Vergèze. Les autorités invitent même le groupe Nestlé à "arrêter sa production d’eau minérale naturelle". Une première.
Le préfet du Gard devra-t-il signer l’arrêt de mort de l’emblématique eau minérale naturelle Perrier ? Il sera appelé à se prononcer, “dans le courant du premier semestre 2025″, sur la demande de renouvellement d’autorisation d’exploitation de la source de Vergèze, déposée en octobre 2023 par Nestlé. Or, un audit de l’Agence régionale de santé d’Occitanie, révélé ce lundi par nos confrères de Radio France et du Monde, fait état de menaces sérieuses sur l’eau pétillante bue dans le monde entier.
Ce n’est certes qu’un rapport intermédiaire, comme le défend Nestlé Water auprès de Midi Libre, mais les mots choisis par les autorités sanitaires traduisent une situation préoccupante. Le document pointe un potentiel “risque virologique pour les consommateurs” et envisage pour la première fois “un arrêt de la production d’eau minérale naturelle sur le site de Vergèze”. L’ARS suggère même à Nestlé, la multinationale suisse propriétaire de la marque, de “s’interroger stratégiquement” sur un autre usage alimentaire possible de ses captages, “dans des conditions qui apporteraient des garanties de sécurité sanitaires, qui s’avéreront indispensables”.
À la demande du préfet
Des conclusions ô combien inquiétantes pour le site gardois qui a produit 1,3 milliard d’unités (canettes ou bouteilles) en 2023 et qui emploie plus d’un millier de salariés. Toujours selon Radio France et Le Monde, ce rapport fait suite à une inspection de l’usine Perrier le 30 mai dernier, demandée par le préfet du Gard Jérôme Bonet après les premières révélations, cinq mois plus tôt, de l’utilisation de traitements de purification interdits sur les marques Hépar, Vittel, Contrex et Perrier. Dans sa lettre de mission, il demandait de vérifier “le bon démantèlement des traitements interdits” ainsi que “la traçabilité et les pratiques de fabrication des produits”.
Or, selon l’ARS, si certains de ces traitements non autorisés ont bien été retirés, le risque de fraude perdurerait. Les inspecteurs soulignent en effet que “les conditions de réalisation de l’inspection n’ont pas permis de s’assurer qu’il n’y avait pas d’autre dispositif de traitement non autorisé dissimulé dans l’usine”. De surcroît, les contrôles qualité menés par le groupe Nestlé présentent des résultats microbiologiques “inhabituels pour une eau minérale naturelle”, avec une “instabilité des eaux”, et la présence de micro-organismes dans les eaux brutes, ce que la réglementation sur les eaux minérales naturelles interdit strictement.
“Inacceptable pour une eau minérale naturelle”.
Quelques semaines avant l’inspection, Perrier avait d’ailleurs dû stopper l’un des puits de l’usine, à la suite d’un épisode de contamination par des germes fécaux, pouvant provoquer des maladies, ce qui avait entraîné la destruction de trois millions de bouteilles. Une opération de nettoyage menée sur deux autres puits, à la même période, a révélé un nouvel épisode de contamination par ce type de germes, des “contaminations bactériennes, ponctuelles”, mais “inacceptables pour une eau minérale naturelle”.
Pour remédier à ces problèmes, Perrier semble avoir renforcé son dispositif de traitement par microfiltration, mais celui-ci, toujours selon le rapport de l’ARS, ne ferait que masquer la contamination des eaux brutes et n’empêcherait pas “un possible risque virologique” pour les consommateurs. Une donnée dont le gouvernement Borne aurait eu connaissance, autorisant Nestlé à utiliser des microfiltres non conformes.
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000De l’eau minérale naturelle à l’eau aromatisée ?
Contactée pour commenter ces informations, la préfecture du Gard a renvoyé “pour l’heure” sur l’ARS Occitanie, laquelle n’a pas répondu à nos sollicitations. Reste à savoir si ce qui s’apparente à un scandale sanitaire pourrait menacer l’usine Perrier, alors que l’on évoque aussi une réflexion, chez Nestlé, pour démanteler sa filiale eaux minérales, donc vendre Perrier ? L’ARS, dans son rapport, note que “sur le plan technique, rien n’empêche le traitement de l’eau minérale naturelle par des procédés non autorisés utilisés pour d’autres types d’eaux“. Autrement dit, Perrier pourrait aussi réorienter sa production vers des eaux de boisson d’une autre appellation que celle d’eau minérale naturelle, à l’image de sa nouvelle gamme “Maison Perrier” lancée en 2024, soit treize parfums d’eau pétillante aromatisée, issue de deux des sept puits du site de Vergèze. Comme si Nestlé avait anticipé le rapport de l’ARS…
“Pas d’affolement”
Les élus du territoire ne se sont pas tous bousculés au portillon pour réagir à ces nouvelles révélations autour de Perrier. “Il faut faire preuve de prudence, ce sont des informations partielles, même si je ne remets pas en doute leur authenticité”, commente Philippe Gras, maire de Codognan et président de la communauté de communes Rhony Vistre Vidourle. Il précise : “C’est évidemment un sujet sérieux qui préoccupe les élus du territoire, compte tenu de l’importance de Perrier, du nombre d’emplois concernés et des ressources financières générées par la marque. Je ne voudrais pas qu’une surmédiatisation vienne compliquer un peu plus la tâche de celles et ceux qui doivent trouver une solution“, dit-il, appelant à “ne pas s’affoler”.
Philippe Gras assure qu’il est en contact régulier avec le directeur du site Philippe Fehrenbach. “Un dialogue franc et constructif”. Il a fait partie des élus locaux qui ont été invités à visiter récemment le site, à la suite des premières révélations. “Ce jour-là, mais aussi lorsque nous discutons avec les représentants de Perrier, je n’ai pas l’impression qu’on essaye de nous cacher ou nous dissimuler je ne sais quel sujet”, assure le président de Rhony Vistre Vidourle. Pour autant, il a accepté “sans hésiter” le concours de sa collectivité à la commission d’enquête parlementaire sur les eaux en bouteille lancée la semaine dernière. “Il y a besoin de sérénité dans ce dossier, et un regard avec un peu de recul contribuera en tout cas à trouver les bonnes solutions. Les élus locaux feront tout ce qui est en leur pouvoir pour y arriver”, conclut Philippe Gras. Qui ajoute : “l’enjeu est primordial“. À commencer par les 1 000 emplois directs liés à l’usine Perrier.
Le sénateur du Gard Laurent Burgoa : “Statuer sur des normes”
L’INTERVIEW. Vous présidez la commission d’enquête parlementaire sur les eaux en bouteille qui a lancé ses travaux le 10 décembre. Comment réagissez-vous à ces nouvelles révélations ?
Je ne peux pas réagir à chaud. Dans le cadre de cette commission d’enquête, nous recevrons la direction de Nestlé, l’ARS Occitanie, les préfets du Gard successifs… C’est après ces auditions que nous nous ferons notre avis.
Mais ce nouveau rebondissement renforce l’intérêt de vos travaux.
Cela va médiatiser un peu plus notre commission d’enquête. Pour autant, nous allons travailler de manière sénatoriale, c’est-à-dire doucement mais sûrement, dans l’intérêt général. C’est un pouvoir de contrôle important, puisque nous allons auditionner l’ensemble des professionnels du secteur, et qu’ils ne peuvent le refuser, sauf à s’exposer à des poursuites pénales. Puisque la commission d’enquête porte aussi sur les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle des activités de ces entreprises, nous allons rencontrer les directions compétentes mais aussi les préfets et tous les ministres qui ont eu, de loin ou de près, à traiter ces sujets. Il y a du travail, puisque ces dernières années, ce ne sont par exemple pas moins de huit ministres de la Santé qui se sont succédé. Toutes ces personnes vont prêter sous serment, il y aura donc des paroles fortes.
Comptez-vous aussi auditionner les ministres suspectés par une sénatrice d’avoir autorisé l’utilisation de filtres contre l’avis d’autorités sanitaires ?
Si vous pensez à Mme Pannier-Runacher (alors ministre de l’Industrie, NDLR), oui, elle fera partie des ministres auditionnés.
Quels sont les enjeux de cette commission d’enquête ?
C’est avant tout de faire, au terme de nos travaux le 20 mai 2025, des préconisations qui permettraient, à l’avenir, d’éviter tout cela. Et, pourquoi pas, de proposer à l’État, quel que soit le gouvernement alors au pouvoir, de statuer sur des normes en la matière. Je pense que l’on y verra plus clair quand nous aurons avancé dans les auditions. Pour l’heure, nous avons ouvert nos travaux de manière généraliste avec de premières auditions d’historiens ou d’hydrogéologues pour mieux poser le cadre. Nous avons prévu également de nous déplacer sur les différents sites.
Vous présidez la commission d’enquête, mais sous votre casquette d’élu local, avez-vous une inquiétude pour le maintien de l’emploi à Perrier ?
C’est une entreprise très importante et, effectivement, l’élu local est toujours soucieux du maintien de l’emploi. C’est d’autant plus vrai sur ce territoire où le taux de chômage est plus élevé que la moyenne nationale. Une délocalisation de Perrier serait une très mauvaise nouvelle.
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