Première depuis 2022, l’eau est reparue dans l’Agly, où des centaines d’arbres sont morts. Midi Libre – SYLVIE CAMBON
Depuis l’été 2022, le département est en rouge sur la carte de la sécheresse, nappes, cours d’eau à des niveaux historiquement bas. La vallée de l’Agly en témoigne, 2025 débute moins mal, mais mesure-t-on vraiment à quel point l’eau est rare ?
La carte de France de l’état des nappes d’eau souterraines arrêtée au 1er janvier 2025 est un kaléidoscope de bleus et de vert, où demeure à l’angle le plus méridional de l’Hexagone le rouge vaguement mâtiné d’orange des Corbières et du Roussillon. Depuis septembre 2022, les Pyrénées-Orientales n’ont plus quitté un régime de restriction d’usage de l’eau, progressivement durci, qu’une très faible pluviométrie n’a jamais remis en cause.
Trois ans de sécheresse et des nappes “en décennal sec, indique Perrine Fleury, du BRGM, à Montpellier. Situation que l’on n’observe que tous les dix ans”, mais qui semble ne jamais vouloir finir : “On est descendu tellement bas…, souffle l’hydrologue. De 2022-2023 à l’automne 2024, certaines nappes n’ont fait que se vider, sans jamais se recharger. Il faudrait bien plus de pluie que la moyenne, pour résorber le déficit”, il faudrait “deux ans de précipitations ! », soupire Théophile Martinez, le maire de Cases-de-Pêne, président du SMBVA, le syndicat du bassin-versant de l’Agly, l’un des trois grands du département.
À l’été 2024, on a vu la végétation décrocher d’un coup. Saules, peuliers et hêtres, on a eu par endroits jusqu’à 100 % de mortalité
Il a manqué, dans les Pyrénées-Orientales, en 2022, 45 % de la pluviométrie moyenne annuelle et 55 % en 2023. 40 % encore sur l’essentiel de 2024, le déluge du 28 octobre – 100 mm tombés à Perpignan – ayant légèrement amélioré les choses. “La situation générale reste très fragile, commente-t-on, à la préfecture, malgré la légère amélioration sur certains cours d’eau suite aux épisodes pluvieux de fin 2024, et les prévisions actuelles ne permettent pas d’être pleinement optimiste.” À Rodes, sur la route de Prades, la Têt est si basse qu’elle est sous le seuil de crise, comme le Tech à Arles et sur son cours amont. Le barrage de Vinça est quasi vide (2 M m3), qui attend la fonte des neiges.
Janvier déjà très déficitaire
Pourtant, au fond de l’Agly, au tournant du Nouvel An, l’eau est reparue, que l’on n’avait pas vue couler depuis… ou alors “épisodiquement, glisse Théophile Martinez. Elle coule, mais sans aller jusqu’à la mer”, et son débit a fondu de 2,5 m3/s mi-janvier à 1,3 le 27 du mois. En excédant en décembre, la pluie est à nouveau déficitaire de 90 % en janvier et dans les Corbières, le barrage de Cassagnes et son lac sur la commune de Caramany, à sa cote hivernale (19 millions de m3), n’ont déjà plus grand-chose a laissé passer, qui disparaît vite dans le karst et les nappes sous le fleuve.
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000Se projetant vers l’avant, François Toulet-Blanquet, directeur de la petite équipe de dix agents de ce syndicat mixte regroupant 62 communes sur les 80 km de l’Agly, estime qu’avec “ces dix-neuf millions de m3, si l’on n’arrive pas à le remplir davantage, on tiendra jusqu’à mi-août. On a besoin de 15 à 20 millions de m3 pour parer aux besoins, nous dit le Département”, gestionnaire du barrage, dont le changement climatique est en train de modifier la destination.
En 1994, la retenue fut réalisée pour prévenir la crue de l’Agly. Vingt ans plus tard, on y adjoint la turbine qui produit l’électricité de quelque 2 000 foyers. À ces rôles hydroélectrique, d’écrêteur et de soutien d’étiage pour la biodiversité du fleuve, la fonction irrigation n’est que l’annexe, alors, mais “l’irrigation sous pression développée pour les vignes”, observe Théophile Martinez, et les sécheresses répétées “ont fait évoluer les besoins. Il faut maintenant qu’on apprenne à le gérer à la fois pour les crues et la gestion de la ressource…”
Tant de choses à changer
La crise que traversent les Pyrénées-Orientales – même si le SMBVA est un poil plus « optimiste » pour 2025 – oblige à se poser des questions qui n’ont jamais eu cours auparavant. Et le bassin de l’Agly, qui alimente un karst, véritable réservoir, et des nappes dans lesquelles on puise de l’eau potable “jusqu’au nord de Perpignan”, qui assure une grande partie des apports d’eau douce de l’étang de Salses, cruciaux pour certaines activités, est un exemple illustratif. “Connectés à l’Agly, décrit François Toulet-Blanquet, il y a une trentaine de canaux d’irrigation gravitaires anciens gérés par des ASA. On ouvrait le canal en début de saison, ça coulait, on ne s’en préoccupait plus. C’est fini, on ne peut plus.”
De façon générale, y compris côté professionnels (viticulteurs, maraîchers, arboriculteurs), “on ne sait pas exactement ce qui est prélevé, faute de dispositifs de mesure”. Et “c’est encore plus vrai dans les forages du quaternaire”, renchérit Théophile Martinez en citant ces formations de plaine où les nappes sont à “un plus bas historique. Il faut qu’on équipe les points de prélèvement, il faut que chacun fasse des efforts”, il faut mieux connaître les chemins en sous-sol que l’eau emprunte et dont on ignore l’essentiel.
Délégué à l’eau de l’agglo de Perpignan, Théophile Martinez a le sentiment “que tout le monde a compris que l’eau est rare et risque de l’être davantage”. Les alignements de peupliers, hêtres et saules morts durant l’été 2024 sur les rives de l’Agly pour en avoir tant manqué ou les cent habitants de Planèzes “abreuvés” par camion depuis deux ans sont là pour le rappeler. Mais, “ce que l’on entend de beaucoup de gens encore, c’est que ce n’est pas à eux de faire des efforts”, regrette François Toulet-Blanquet.
Sécuriser la ressource
La plaine du Roussillon et la ville de Perpignan sont très dépendantes des nappes du Pliocène dans lesquelles elles prélèvent 80 M de m3 pour les besoins des particuliers, économiques et agricoles. Une ressource très en déficit depuis trois ans. Avec Véolia, délégataire de la gestion de l’eau depuis 2024, l’agglo de Perpignan va sécuriser ses apports en les adossant au karst des Corbières et le puits de Cases-de-Pêne qui plonge dans l’immense calcaire. Les travaux "de canalisation vont débuter en 2025", explique Théophile Martinez, avec sa casquette de vice-président de l’Agglo. Un réservoir, une usine de traitement et un centre de supervision veillant en temps réel au niveau des forages sont programmés.
Mais la solidarité pourrait être aussi régionale, via un prolongement du Réseau hydraulique régional dans l’Aude et les P-O, dont l’étude sera conduite par la Région et l’État en 2025-2026, d’une durée de dix-huit mois. L’idée serait de transporter l’eau du Rhône jusque-là. Ledit réseau exploité par BRL dessert "7 000 exploitations agricoles aujourd’hui, dit Jean-François Blanchet, qui dirige la société à capitaux majoritairement publics, jusqu’au Biterrois, effectif à l’été 2022. Cela a permis d’éviter un impact qui aurait été très, très fort", en apportant aux agriculteurs et viticulteurs l’irrigation, alors que la sécheresse sévissait.
BRL prélève "130 à 160 M de m3 d’eau par an dans le Rhône, à peine 20 % du débit autorisé, souligne Jean-François Banchet. Nous avons donc une capacité à satisfaire de nouveaux besoins, selon les conclusions de l’étude."
À noter qu’en ajoutant son barrage des monts d’Orb, à Avène, plein à 81 %, BRL, juge son directeur, affiche "un niveau d’assurance raisonnable pour garantir les besoins en eau de la saison 2025".
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