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"C’est un moment vertigineux pour nous et pour le monde " : Douglas Kennedy se livre avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche

Douglas Kennedy éclaire brillamment l’Amérique de Trump, dans son dernier ouvrage, "Ailleurs chez moi" (Belfond). L’auteur américain nous a accordé un entretien au moment où le républicain s’apprête à s’installer, une nouvelle fois, à la Maison Blanche.

Votre dernier ouvrage, “Ailleurs chez moi” (Belfond), jette une lumière crue sur cette Amérique qui a porté Trump au pouvoir. Quels sont les ressorts de son retour à la Maison Blanche le 20 janvier prochain ?

Dans ma chronique de “La Tribune Dimanche”, j’avais prévu la victoire de Trump. Le parti démocrate croyait que tout le monde raisonnerait comme ses électeurs très éduqués qui voyaient en lui un voyou. La moitié du pays a pensé autrement.

ll y a un grand problème aujourd’hui aux États-Unis : le populisme et le fait que la classe moyenne a peur. Même si Biden a fait beaucoup de choses pour la classe moyenne, l’inflation est difficile. En Pennsylvanie, État très important, un électeur expliquait que le prix des œufs avait doublé et que les choses étaient mieux avec Trump. Ce n’est pas vrai, mais c’est son point de vue.

Il y a aussi en filigrane une misogynie. Clairement, l’idée d’avoir une femme comme président était trop dur à accepter pour beaucoup d’Américains. Mais 52 % des femmes blanches ont voté aussi pour Trump. 52 % ! C’est extraordinaire.

L’extrême droite, qui représente 15 à 20 % des gens aux États-Unis, n’est pas la seule à avoir voté pour lui, la classe moyenne, la classe ouvrière et beaucoup de riches aussi. Le pays a parlé, je ne suis pas d’accord avec ça, mais il faut l’accepter.

C’est un moment vertigineux pour nous et pour le Monde, parce que Trump et le Parti républicain vont contrôler le Congrès, la Maison-Blanche et la Cour suprême. Ce n’est pas la fin immédiate de la démocratie américaine. On attend de voir et je n’aime pas le pessimisme, il est paresseux. J’étudie l’Histoire et elle est toujours faite de cycles. Nous entrons désormais dans un cycle difficile.

Trump, ancienne figure de la télé-réalité, vous le rappelez, est la créature de Steve Bannon qui souhaitait faire du Parti républicain un mouvement de la classe ouvrière, un mode d’expression des hommes blancs.

Oui, Nixon, dès 1968, a divisé ainsi le pays pour récupérer le Sud qui était toujours franchement démocrate à cause de la Guerre de sécession. Reagan a utilisé la même stratégie et beaucoup de démocrates de la classe ouvrière ont commencé à voter pour lui, la classe moyenne aussi. Même si les politiques du Parti républicain ont détruit la classe moyenne, c’est l’ironie.

Je ne suis ni de gauche, ni de droite, je suis très centriste, je ne suis pas un militant, mais un observateur. Au lendemain de la victoire de Trump, j’ai écrit ceci dans mon journal intime, en repensant à ces mots de Thomas Jefferson, notre troisième président, très influencé par Voltaire et Rousseau, qui a écrit la déclaration d’indépendance : le gouvernement que vous élisez est le gouvernement que vous méritez.

Vous êtes un observateur aussi à travers vos romans, dans “Les Hommes ont peur de la lumière” vous exploriez la violence des mouvements anti-avortement, craignez-vous des reculs sur d’autres droits sociétaux, des libertés individuelles aux États-Unis ?

Il y a quatre ans, j’ai dit à mon éditrice : mon prochain roman sera sur l’avortement et il a été publié en 2022, au moment de la fin de l’arrêt Roe vs Wade, ce qui a remis en question ce droit de manière fédérale. L’avortement va continuer aux États-Unis, mais cela se décide État par État.

Je vis dans le Maine, on a une gouverneure démocrate, Janet Mills. Cette femme très centriste qui a les pieds sur terre a consacré dans la loi le droit d’avoir un avortement. Mais en Alabama, par exemple, c’est l’inverse, et je pense que cela va continuer avec cette Cour suprême très catho, ces six juges conservateurs. Trump les a dans la poche. Clairement, le mariage homosexuel sera aussi ciblé, ainsi que la séparation entre l’Église et l’État.

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Que vous inspirent les nominations autour de Trump, la façon dont il s’entoure, et surtout ce rôle prépondérant d’Elon Musk à ses côtés ?

Quand on est proche de Trump, tout peut aussi exploser. Regardez Rudolph Giuliani, maire de New York lors du 11 septembre, un héros national, devenu le consigliere (sourire) de Trump : il est complètement ruiné maintenant, jugé coupable dans plusieurs procès. Les gens proches de Trump sont souvent détruits. En ce qui concerne Elon Musk, ce milliardaire complètement arrogant, on verra ce qu’il en est.

Il y a 881 milliardaires aux États-Unis, c’est beaucoup, dont un certain M. Trump. Les gens qui ont voté pour lui ont voté en même temps pour des milliardaires. Cela aussi c’est extraordinaire. Alors qu’on est dans une situation où la classe moyenne lutte. Mon Dieu, qu’ils luttent ! Le rêve américain pour moi, honnêtement, c’était le fait que la classe moyenne puisse acheter une maison, avoir une voiture, être enseignant dans une école, travailler dans une bibliothèque et avoir une vie où on peut éduquer des enfants. Maintenant, c’est impossible. J’ai grandi dans la classe moyenne de New York, elle a disparu à Manhattan parce que la vie est trop chère, elle est en banlieue, c’est un grand changement, et son quotidien n’est pas facile.

Mon optimisme me laisse penser qu’avec les élections de mi-mandat aux États-Unis dans deux ans, si l’économie est nulle et si le Parti républicain n’a pas complètement changé de règles, on finira peut-être par avoir un autre congrès démocrate. C’est l’espoir.

Pour comprendre cette Amérique de Trump, vous nous entraînez dans votre livre au Kansas, le long de la route Flint Hills Trail et vous posez une question essentielle : qu’est-ce qu’un Américain ?

Il y a plusieurs Américains. Récemment, à la télévision, un jeune écrivain français a dit : au Texas, il y a des voyous. J’ai répondu : il y en a, on peut porter des armes en public, mais il y a aussi des universités extraordinaires, des chercheurs, le meilleur hôpital du monde dans la lutte contre le cancer, trois orchestres formidables, je connais aussi des vrais intellectuels. Ce n’est ni noir ni blanc.

Le Kansas est très intéressant, j’y ai rencontré des gens très intelligents.

La vérité est que j’ai peur de mon pays. Je suis frustré par mon pays. Mais j’adore mon pays.

Ces stéréotypes véhiculés, notamment en France, sur les Américains, vous touchent-ils ?

Aux États-Unis, des gens disent que les Français sont snobs et nous détestent. Je vis la moitié du temps en France depuis 2000, je suis francophone maintenant, avec un petit accent, même si je fais des petites erreurs.

Je dis à mes compatriotes américains : vous avez tort, c’est plus compliqué que ça. Je déteste les clichés parce qu’ils sont paresseux. Quand on écrit, il faut trouver la subtilité partout. Dans “Au pays de Dieu”, je relate un été passé dans le sud des États-Unis, dans la culture néo-chrétienne. Je me me suis retrouvé dans des situations absolument absurdes, mais je ne me suis jamais moqué des personnes que j’ai rencontrées. Il faut respecter les gens. Même si on n’est pas d’accord. Il faut essayer de comprendre. Sinon on écrit des choses sans beaucoup de connaissance de la condition humaine. 

Ce qui fait la force aussi de votre regard sur les Etats-Unis dans ce livre, c’est son approche, une analyse politico-historique, à travers votre vécu.

C’est ce qui rend différent, je l’espère, ce livre. Mon père et ma famille, c’est une grande métaphore de ce pays. Pourquoi Dieu joue-t-il un rôle si important dans la vie américaine ? Pourquoi l’argent est-il notre religion civile ? Le livre pose beaucoup de questions sans réponses. C’est l’une de mes obsessions.

Je déteste les gens qui pensent détenir la vérité, ils sont trop manichéens. D’après mon expérience, il n’y a pas de vérité. Il y a certaines choses sur lesquelles on est d’accord, le génocide c’est horrible. Mais beaucoup d’autres choses ethniques et morales sont grises.

J’ai vécu beaucoup de vies, le mariage, les enfants qui sont des adultes maintenant, 32 et 28 ans, un photographe à Londres et une dramaturge à New York avec lesquels je suis très proche. Je vis maintenant entre Paris, Berlin et le Maine, je voyage beaucoup et, pour moi, la clé de tout, c’est de rester curieux, ouvert et de comprendre qu’il n’y a pas de réponses. Alors quand j’ai entendu pendant la campagne “Trump will fix it” (Trump va tout régler), je me suis dit “Oh, mon Dieu, faites attention !” (Rires).

Pouvez-vous nous dire aussi un mot de vos projets pour la suite ?

Ce sera un roman. Chaque fois, j’essaie de faire quelque chose de différent. Quand j’ai écrit “Et c’est ainsi que nous vivrons”, j’ai dit à mon éditrice : l’action va se dérouler en 2045, mais ne t’inquiète pas, ce ne sera pas la science-fiction… Le but de ma vie, c’est d’éviter l’ennui. L’ennui est tragique.

Le dernier livre de Douglas Kennedy : “Ailleurs chez moi” (Belfond, 22€, 264 pages), vivement conseillé par la rédaction de Midi Libre. Je m’abonne pour lire la suite

Teilor Stone

By Teilor Stone

Teilor Stone has been a reporter on the news desk since 2013. Before that she wrote about young adolescence and family dynamics for Styles and was the legal affairs correspondent for the Metro desk. Before joining Thesaxon , Teilor Stone worked as a staff writer at the Village Voice and a freelancer for Newsday, The Wall Street Journal, GQ and Mirabella. To get in touch, contact me through my teilor@nizhtimes.com 1-800-268-7116