Cerveau ou intestin : qui est vraiment le maître du jeu ?
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© Min An / Pexels 𝕏
Elle est certainement l’une des questions les plus captivantes et complexes auxquelles l’humanité tente de répondre depuis des siècles : comprendre les origines de notre intelligence. Comment notre espèce a-t-elle développé un cerveau d’une telle complexité, capable de créer l’art, la science et la technologie ?
Cette interrogation fondamentale, qui mobilise philosophes et chercheurs depuis des décennies, trouve aujourd’hui un petit élément de réponse dans les profondeurs de notre système digestif. Une étude publiée le 2 décembre dans Microbial Genomics, vient d’établir pour la première fois un lien direct entre le microbiote intestinal et l’extraordinaire développement de notre organe cérébral au fil de l’évolution.
Le cerveau humain consomme près de 20 % de notre énergie quotidienne, une proportion sans équivalent dans le règne animal, à l’exception des grands mammifères comme les éléphants, les baleines et les dauphins. Un véritable fardeau métabolique ! Comment nos ancêtres ont-ils pu développer et maintenir un organe aussi énergivore ?
Les recherches précédentes se sont concentrées sur les aspects génétiques et environnementaux, négligeant un acteur essentiel : le métabolisme. Pour rappel, on entend par métabolisme l’ensemble des processus biochimiques par lesquels les organismes vivants convertissent les nutriments en énergie et en matière nécessaire à leur croissance et à leur maintien.
C’est pourquoi les chercheurs à l’origine de cette étude ont entrepris d’étudier les variations métaboliques (changements dans la vitesse à laquelle le corps transforme les aliments en énergie) entre différentes espèces de primates pour comprendre ce qui distingue les espèces au cerveau développé des autres.
L’équipe dirigée par Katherine Amato à l’Université Northwestern a donc élaboré une approche expérimentale destinée à décrypter l’influence du microbiote intestinal (l’ensemble des micro-organismes, des bactéries principalement) sur le développement cérébral. Pour ce faire, les chercheurs ont développé un protocole de transplantation microbienne pour mettre en lumière les interactions entre les bactéries intestinales et le métabolisme de leur hôte.
Les chercheurs ont sélectionné trois espèces de primates aux caractéristiques cérébrales distinctes : l’Humain (Homo sapiens) et le Singe écureuil (Saimiri boliviensis), dotés de cerveaux volumineux, et le macaque (Macaca mulatta), au cerveau plus modeste. Le choix de ces espèces n’est pas anodin : il permet d’explorer comment différentes trajectoires évolutives ont forgé les communautés microbiennes intestinales en relation avec le développement cérébral.
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000La transplantation de leurs microbiotes respectifs dans des souris axéniques – des animaux élevés en conditions stériles, dépourvus de toute flore intestinale – constitue en elle-même une innovation méthodologique importante. En effet, elle permet d’isoler avec une grande précision l’influence spécifique du microbiote sur la physiologie de l’hôte, en éliminant les variables confondantes qui pourraient brouiller l’interprétation des résultats.
L’équipe a ensuite surveillé plusieurs paramètres physiologiques : variations pondérales, modifications de la composition corporelle, fluctuations glycémiques et paramètres hépatiques. Cette batterie de mesures sert à démontrer comment les communautés microbiennes modulent le métabolisme énergétique de leur hôte.
Résultats : les bactéries intestinales produisent des composés qui modifient profondément le métabolisme de l’organisme. Ces molécules interviennent dans la régulation du glucose et la distribution des réserves énergétiques. Le microbiote apparaît ainsi comme un régulateur métabolique, dirigeant l’énergie soit vers le développement cérébral, soit vers les réserves adipeuses. Les analyses biochimiques ont servi à cartographier la diversité des molécules produites par ces différentes populations microbiennes, chaque espèce de primate possédant une communauté bactérienne unique.
Amato explique : « Ces résultats montrent que l’évolution vers des cerveaux plus grands, chez les humains comme chez les singes écureuils, s’est accompagnée de transformations comparables dans leurs microbiotes, visant à répondre aux besoins énergétiques accrus ». . Cette spécificité microbienne serait donc la clé du développement, pour certaines espèces, de cerveaux particulièrement énergivores.
Les résultats révèlent une différence marquée entre les espèces selon la taille de leur cerveau. Les souris qui ont reçu les bactéries d’humains ou de singes écureuils – les deux espèces au cerveau volumineux – montrent une utilisation plus efficace de l’énergie. En revanche, celles qui ont reçu les bactéries de macaques – au cerveau plus petit – stockent davantage l’énergie sous forme de graisse.
Fait assez singulier : les souris portant les bactéries humaines présentent des similitudes frappantes avec celles portant les bactéries des Singes écureuils, bien que ces deux espèces soient génétiquement éloignées. Cette découverte indique que le développement d’un grand cerveau a favorisé l’émergence de bactéries intestinales capables de fournir l’énergie nécessaire, ce, indépendamment du patrimoine génétique de l’espèce.
Si le socle de l’intelligence est multifactoriel (génétique, éducation, environnement socio-économique, etc.) la synergie entre bactéries et cerveau apparaît donc comme une pièce importante du puzzle. Bien qu’il reste encore beaucoup à découvrir – c’est souvent le cas lorsqu’on se penche sur cette thématique précise – nos connaissances actuelles suggèrent que notre microbiote intestinal pourrait ainsi être considéré comme un véritable « deuxième cerveau », influençant nos pensées, nos émotions et nos comportements.
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