Qu’ils aient vécu la crise des caricatures à Charlie Hebdo ou au Danemark, qu’ils portent haut la lutte pour la liberté de la presse en Occitanie ou à travers le monde, ils ont tous un message à faire passer aujourd’hui.
Où en est le combat pour la liberté de la presse, dix ans après les attentats de Charlie Hebdo ? Ils prennent la parole dans Midi Libre.
Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo : “Un journal à une adresse inconnue, bunkerisé, c’est dingue”
Il y a tout juste un an, le Traité sur l’intolérance (Grasset) de Richard Malka restituait avec force sa plaidoirie du procès en appel des attentats de janvier 2015, rappelant toute l’acuité de la lutte pour la liberté d’expression qu’il porte haut dans les prétoires.
La France a subi, depuis Charlie, une vague d’attaques terroristes sans précédents, et a vu tomber deux de ses serviteurs, les professeurs Samuel Paty (2020) et Dominique Bernard (2023).
“On a trop longtemps laissé les professeurs seuls quand ils se confrontaient aux questions de laïcité, la peur a gagné du terrain, souligne l’emblématique avocat de Charlie Hebdo. Je pense que c’est dans ce monde de l’Éducation, aujourd’hui déstabilisé, qu’il faut faire un effort majeur pour restaurer l’autorité du corps enseignant à l’égard des élèves et des parents et que plus aucune attaque ne soit acceptée, mais, pour cela, encore faut-il une solidarité absolue de toute la chaîne hiérarchique en cas de problème. Aujourd’hui ça bouge, on n’enterre plus les problèmes, mais il a fallu du temps et des drames.”
Richard Malka MAXPPP – Vincent Isore
La société évolue, elle aussi, selon une récente enquête d’opinion encore placée sous embargo. “On a fait faire un sondage Ifop avec la Fondation Jean-Jaurès qui sera dévoilé le 7 janvier, confie Richard Malka, il est assez encourageant parce que le soutien à la caricature, y compris au blasphème, est en progression massive, contrairement aux idées reçues. Il conclut que notre combat est couronné de succès. Il y a, néanmoins, une fracture générationnelle. Chez les plus jeunes, l’adhésion à la liberté d’expression telle qu’elle est définie par la loi de 1881 est moindre et elle est rejetée en particulier par les membres de LFI, un parti de gauche, c’est complètement incroyable ! Il y a une France universitaire, culturelle, journalistique parfois qui est plus partagée sur ces sujets, mais on va continuer à porter le fer là où il faut”, souligne-t-il. Dix ans après l’attentat, l’état d’esprit des survivants de Charlie est “combatif“, confie Me Malka.
“La meilleure manière de rendre hommage à ceux qui ne sont plus là c’est de continuer à défendre leurs idées et les valeurs pour lesquelles ils ont été tués”, observe-t-il.
La Une du retour de Charlie Hebdo dans les kiosques. Historique. DR
Quitte à payer la liberté d’expression au prix de leur propre liberté physique ? « C’est objectivement le cas, reconnaît Richard Malka, lui aussi placé sous protection policière. Le destin nous a mis en face à cette situation, on a fait le choix de continuer à nous battre pour ces idées, quand on pense à nos amis comment faire autrement ?”
Dans quelles conditions travaille aujourd’hui l’équipe de Charlie ? “C’est une rédaction bunkerisée, ça n’a malheureusement pas changé et ça ne changera probablement pas de sitôt et de temps en temps ça nous fait enrager, souligne-t-il. C’est là-dessus qu’on se sent parfois un peu seuls, ça devrait être un sujet d’indignation quotidien pour toute la profession et bien au-delà pour tout le pays qu’un journal soit obligé de travailler à une adresse inconnue, bunkerisé, c’est complètement dingue.”
Thibaut Bruttin, patron de Reporters sans frontières : “L’espace pour le dessin diminue dans les journaux”
Derrière le symbole Charlie, “il ne faut pas invisibiliser tout ce que l’événement a eu pour conséquences, observe Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF). Aujourd’hui, l’espace pour le dessin de presse diminue dans les journaux et on voit beaucoup de caricaturistes se réfugier sur les réseaux sociaux. C’est inquiétant, parce qu’il faut défendre les journalistes toujours menacés, mais aussi le besoin de garder une place importante pour le commentaire d’actualité par le dessin dans la presse”, nous explique-t-il.
“On commémore le massacre du 7 janvier et on célèbre aussi la mobilisation historique du 11 janvier, or les chefs d’État qui étaient présents à Paris sur la photo, on aimerait bien les voir unis aujourd’hui dans le combat pour la presse libre. Du côté du grand public, il faut arriver à faire entendre aussi qu’on a besoin d’une presse irrévérencieuse. On voit que les publications de Charlie Hebdo agacent toujours autant un certain nombre de gens qui souhaiteraient une interdiction du blasphème. Un combat se joue sur ce point au niveau du droit international, car des gouvernements cherchent à interdire ce qu’ils considèrent comme une sorte de diffamation des religions. C’est en contradiction avec tout ce que l’on défend », souligne le journaliste.
Thibaut Bruttin KEYSTONE – MARTIAL TREZZINI
“Charlie Hebdo n’a pas baissé les bras et incarne toujours cette transgression permanente. Mais il y a aussi tous les Charlie du monde. Le dessinateur Prageeth Eknaligoda a disparu depuis quinze ans au Sri Lanka, on ne sait toujours pas ce qui lui est arrivé”, poursuit le patron de RSF.
Autre cas emblématique, Ashraf Omar est en détention provisoire en Égypte, depuis le 22 juillet dernier, “tout ça parce qu’il a fait des dessins de presse, et c’est très inquiétant de voir à quel point il y a peu de solidarité internationale au-delà de la question de Charlie”, pointe Thibaut Bruttin.
Où la situation est-elle la plus préoccupante aujourd’hui ? “Je dirai que c’est dans les pays qui ont une tradition du dessin de presse, amoindrie désormais par la répression je pense notamment à l’Inde, au Bangladesh, répond le chef de RSF. On va publier la semaine prochaine avec Cartooning for Peace une liste commune de cas iconiques de la situation actuelle. Ils sont effectivement situés plutôt en Asie du Sud-Est et en Asie du Sud, là où il y avait historiquement une place pour la presse qu’on ne retrouve plus aujourd’hui.”
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000Anders Fogh Rasmussen, ancien dirigeant du Danemark : “La liberté la plus précieuse de notre société”
ll avait géré, en tant que Premier ministre du Danemark, la première crise des caricatures de Mahomet, publiées le 30 septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten, avant d’être reprises par Charlie.
Anders Fogh Rasmussen EPA – STEPHANIE LECOCQ
“La liberté d’expression comprend le droit de critiquer, réaffirme l’ancien patron de l’Otan, contacté par Midi Libre. Nous n’accepterions jamais que l’on nous interdise de critiquer le président, le gouvernement ou les politiques de grandes entreprises. Il ne devrait pas en être autrement pour la religion. L’attentat lâche contre Charlie Hebdo était une attaque contre la liberté la plus précieuse de notre société. Je pense aujourd’hui aux victimes et à leurs familles.”
Carole Delga, présidente de la Région Occitanie : “Ne montrer aucune faiblesse”
En 2020, Carole Delga avait fait projeter les caricatures de Charlie Hebdo sur les hôtels de Région de Toulouse et Montpellier en hommage à Samuel Paty, un geste salué par Riss, directeur du journal satirique. Rendre hommage à Charlie, "c’est aussi continuer, coûte que coûte, le combat face au racisme, à l’antisémitisme, à l’intégrisme, au complotisme. C’est ne montrer aucune faiblesse face aux ennemis de la République et à ceux qui dévoient les religions pour en faire des outils d’oppression. Nous avons un devoir de poursuivre inlassablement la mission d’éveil de la conscience et de l’esprit critique des nouvelles générations", souligne la présidente de la Région Occitanie dans un communiqué.
Agnès Maurin, directrice du Club de la presse Occitanie : “Aider les jeunes à appréhender l’information”
Le 7 janvier 2015, Agnès Maurin était présente dans les locaux du Club de la presse Occitanie, qu’elle dirige à Montpellier, quand l’information est tombée. La place du Nombre d’or s’est “remplie”, se souvient-elle, “les gens sont venus de tous les quartiers exprimer leur sidération, c’était très spontané et c’est ce qui nous a donné la force d’organiser la marche (du 11 janvier 2015, NDLR). Contrairement à beaucoup d’autres villes où la classe politique a organisé les manifestations, ici ce sont les journalistes qui l’ont prise en main et elle a réuni 100 000 personnes, c’était un flot de gens continu, une marée humaine, c’était inimaginable.”
Dix ans après cette marche historique, ce combat pour la liberté d’expression s’inscrit dans la durée. “Nous avons organisé pendant plusieurs mois des stages de journaliste en résidence à Lunel”, qui avait vu une vingtaine de ses enfants partir faire le Jihad au Moyen-Orient, entre 2014 et 2015.
Agnès Maurin Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH
“De ces échanges est né le dispositif Esprit Critique qui nous permet, aujourd’hui encore, d’aider des jeunes à appréhender l’information sur les réseaux sociaux”, explique Agnès Maurin. Ça fonctionne bien, on a vu quasiment 9 000 jeunes depuis 2017.”
Dans les jours qui viennent, le Club de la presse multipliera les actions et expositions dans la région (voir page précédente) en hommage aux victimes de Charlie. “Des dessinateurs iront aussi à la rencontre des voyageurs dans un train qui partira le 8 janvier de Montpellier et s’arrêtera dans 13 gares jusqu’à Toulouse. annonce Agnès Maurin. Ce sera une première mondiale.”
Plantu, figure du dessin de presse : “J’ai honte pour ma démocratie, il faut réinventer la laïcité”
“Évidemment, je les connaissais tous, et je me souviens d’avoir été figé devant ma télévision et d’avoir vu défiler ces bandeaux en bas de l’écran. “Cabu blessé”, et puis… “Cabu assassiné”, “Mort de Wolinski””, se remémore Plantu, l’une des figures mondiales du dessin de presse.
“J’étais très proche de Tignous qui nous avait accompagnés dans nos différents rencontres de dessinateurs de presse en Colombie et ailleurs. C’était tout simplement une bande de spécialistes du dérapage, et quand j’allais les voir à Charlie, tout était possible”, explique l’ancien dessinateur historique du quotidien Le Monde et de l’hebdomadaire L’Express.
“Depuis le 7 janvier 2015, je continue à dessiner exactement comme avant, mais comme beaucoup de journalistes, de professeurs, de religieux, d’intellectuels, nous sommes accompagnés de policiers : je les remercie ces policiers mais j’ai honte pour ma démocratie. Pour que les choses s’arrangent, il faudra que tout le monde retourne à l’école afin de faire renaître les débats pour que les ignorants de tous poils et de toutes barbes puissent comprendre ce qu’est la laïcité”, poursuit-il.
“L’épouse de Dominique Bernard, le professeur a assassiné à Arras m’a appris que l’assassin s’était approché des professeurs en disant : “Vous allez voir ce que j’en fais de votre Marianne !, confie le dessinateur. Hannah Arendt dit : “Il faut penser comme si personne n’avait jamais pensé”. La laïcité c’est pareil, faut la réinventer et la défendre comme si on n’avait jamais rien fait.”
Plantu Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH
Plantu, à l’origine de la création de l’association internationale Cartooning for Peace avec l’ancien secrétaire général de l’ONU et Prix Nobel de la paix Kofi Annan, reste un infatigable défenseur de la liberté de liberté d’expression. “Depuis quelques jours, sur un mur d’immeuble du 13e arrondissement, en accord avec la mairie, il y a un de mes dessins qui a été redessiné par le graffeur Nilko. Et quand je l’ai vu sur le mur, spontanément les locataires de l’immeuble et les gens du quartier sont venus vers moi pour me dire combien ils admiraient la folie des images irrespectueuses de ces dessinateurs disparus”, relate-t-il.
’hommage de Plantu au dessin de presse et, notamment, à Tignous, Charb, Honoré, Wolinski et Cabu, les dessinateurs tués le 7 janvier. Plantu
Aujourd’hui, dans les écoles, “il faut apprendre et réapprendre à utiliser les réseaux sociaux. Il y a trop de gens grincheux qui, en meute, polluent le débat. Mais les ignorants remplis de haine n’ont qu’à bien se tenir : la laïcité et la démocratie gagneront ce combat pour la Liberté”, assure le caricaturiste.
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