HE-1 de Sennheiser, voici le casque audio le plus cher du monde

Depuis 1992, l’usine de Tullamore en Irlande bat au rythme de Sennheiser. Dans ce lieu, tenu secret des journalistes jusqu’en 2023, se fabrique désormais les produits filaires de la marque, dont le HE 1. Un casque qui vaut la bagatelle de 69 000 euros…

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© Presse-citron 𝕏

« Vous venez pour Sennheiser ou pour la distillerie de whisky ? ». À peine avions-nous quitté l’aéroport de Dublin que la question fut posée par notre chauffeur. Il faut dire que les 100 km qui séparent la capitale irlandaise de Tullamore, Martin les enchaîne plusieurs fois par semaine. Et à chaque fois, ses passagers font soit l’un, aller en apprendre un peu plus sur le bourbon local, soit l’autre, venir étancher leur curiosité audiophile.

Le whisky et la musique, voici donc les deux attractions de cette charmante bourgade de 16 000 habitants. Dès notre première journée sur place, nous avons pu remarquer que la première est disséminée relativement partout dans la ville.

Centre ville de Tullamore de nuit © Presse-citron

Dans les magasins de souvenirs qui proposent des petits ours sur un baril ou encore dans les pubs qui ont tous à leur carte un steak sauce gravy, poivre et whisky. Pour se confronter à la seconde, il faut s’éloigner un peu du centre-ville. C’est ce que nous avons fait le lendemain matin.

Une marque allemande, sous pavillon suisse, qui produit en Irlande ?

Une marque allemande, passée sous le giron d’une entreprise suisse, qui possède une usine de fabrication et d’assemblage en Irlande. Si vous n’êtes pas très au fait de l’histoire récente, ou plus ancienne, de Sennheiser, prenons d’abord le temps de poser quelques jalons.

Depuis sa création en 1945, la marque allemande a su se faire un nom auprès de tous les amateurs de musique. D’abord spécialisé dans les microphones, qui firent les beaux jours des premiers studios TV et d’enregistrement de l’époque, Sennheiser élargit petit à petit son univers en se tournant vers l’audio grand public.

En 1968, l’entreprise commercialise le HD 414, le premier casque ouvert au monde, qui est selon plusieurs sources le casque circum-aural le plus vendu au monde à ce jour. D’ailleurs, si vous en croisez un dans votre grenier ou sur une brocante, sachez que les coussinets de rechange sont toujours produits.

© Sennheiser

Impossible d’évoquer également Sennheiser, sans parler de son apport dans l’audio 3D. En 1974, le microphone stéréo MKE 2002 a permis de réaliser un des premiers enregistrements à usage commercial en binaural. Et que dire du HD 25 de 1988, un casque porté et adulé par tous les DJ, professionnel ou amateur, et ce, encore à ce jour.

Si l’aura de la marque allemande n’est plus à prouver auprès des audiophiles, l’entreprise a tout de même toujours concentré le gros de ses activités vers le secteur B2B. D’ailleurs, l’entreprise se compose de quatre unités : Pro Audio, Business Communications, Neumann et Consumer Electronics. Et c’est cette dernière que la marque a revendue en 2021…

Souffrant d’une concurrence féroce sur le marché des écouteurs, des casques et des barres de son grand public, l’allemand s’est décidé à céder sa division B2C en 2021 à Sonova. Leader mondial sur le marché des aides auditives, cette entreprise suisse a eu les faveurs du constructeur audio. Il faut dire que la firme helvétique s’est engagée à continuer à investir suffisamment pour que les produits grand public de Sennheiser continuent d’exister, et ce, malgré un marché audio saturé.

Sortie en 2023, l’Ambeo mini est considérée comme la meilleure barre de son compact du marché @Sennheiser

Et au vu des récents succès de la marque, on pense notamment aux écouteurs Momentum True Wireless 4 ou encore à l’excellente barre de son Ambeo mini, ce rapprochement semble, pour le moment, être une sage décision.

Tullamore, le poumon audiophile filaire de Sennheiser

Et que vient donc faire l’Irlande dans cette équation ? L’usine de Tullamore fut d’abord destinée à produire les transducteurs de Sennheiser. Un composant essentiel à tous les produits audio. Elle fut donc créée en 1992. Et ce, bien avant que ce pays ne transforme en eldorado fiscal pour les entreprises tech de tous bords.

C’est seulement suite au rachat par Sonova en 2022 que la décision est prise d’y transférer également l’activité de production et d’assemblage des casques filaires. Très certainement, selon nous, pour une optimisation des coûts, et non exclusivement fiscale. C’est en tout cas que nous en avons déduit lors de notre visite.

© Presse-citron

À notre arrivée, Pat Fulton, le responsable des lieux, nous présente fièrement les stars locales. Le HD 800S, le HD 820, le HD 650, les écouteurs filaires IE 600 et IE 900… Et bien sûr, un peu plus tard, il nous promet un tête à tête avec le fameux casque HE 1.

L’évolution de l’usine, l’homme l’a bien vécue. Arrivé il y a près de 20 ans, il a su gravir les échelons pour aujourd’hui se retrouver à la tête d’une bonne centaine de personnes. Pour lui, Tullamore, c’est avant tout une famille. Et c’est ce qui a, avant tout, motivé le choix de Sennheiser de transférer certaines de ses activités sur place. Depuis qu’il est là, très peu de licenciements ont eu lieu, tandis qu’il nous assure que le taux de départ est proche de zéro. L’ancienneté des salariés s’étendant ici dans la majorité des cas de la formation à leur entrée jusqu’à leurs retraites.

Autre fait, qui a dû certainement convaincre Sennheiser de faire migrer la production des produits filaires, Tullamore est une usine sans cesse en ébullition. En effet, trois équipes se relaient 24h/24 et 7j/7 pour faire tourner la boutique. Introduite en 2004, la première ligne de production était à l’époque beaucoup plus courte qu’aujourd’hui. Au fil du temps, et des améliorations technologiques, elle s’est allongée, puis robotisée.

Les journalistes écoutant religieusement Pat Fulton © Sennheiser

Actuellement, le processus de production mêle à la fois ligne automatique et assemblage manuel. Au début, une machine découpe des feuilles afin de les transformer en membrane. Sur une autre, on nous explique qu’un fil de 0,03 mm est tissé, soit plus fin qu’un cheveu, afin d’être enroulé dans la bobine. Une étape très importante sur laquelle la marge d’erreur est interdite, même si elle est d’un micromètre. Pour rappel, dans un casque c’est la bobine qui reçoit le courant alternatif de l’amplificateur. Ensuite, elle se met en mouvement avec la membrane pour générer les ondes sonores.

Bien évidemment, en plus d’un test acoustique complet en bout de production (distorsion, polarité, sensibilité…), chaque étape bénéficie d’un contrôle de qualité. Pour celle de la bobine, les salariés ont à leurs dispositions des caméras microscopiques situées derrière les vitres des machines.

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Finalement, en plus de l’expérience et du savoir-faire d’une marque, Tullamore nous prouve qu’un outil industriel de qualité sert également la pérennité d’une marque. Pour preuves, la plupart des machines présentes dans cette usine possèdent deux caractéristiques distinctes. Elles ne sont pas monotâches. Ainsi, elles peuvent fabriquer différentes sortes de transducteurs, sans que cela nécessite un grand chamboulement de l’organisation. Et surtout, si elles sont si malléables, c’est pour une raison simple : elles ont été conçues elles-mêmes par Sennheiser.

Le Sennheiser HE 1, le casque de tous les superlatifs

Le HE-1 n’est pas qu’un simple casque, c’est le produit audio de tous les superlatifs. Tout comme son prédécesseur… En 1990, Sennheiser officialise l’Orpheus. Un casque de luxe qui était déjà le plus cher de l’époque. Lancé à 15 000 dollars, soit l’équivalent avec l’inflation de 28 000 euros actuels, l’Orpheus reste pendant près de 25 ans systématiquement en tête des classements du meilleur casque du monde.

© Senneihser

Pendant ce temps, dans l’ombre, Sennheiser prépare la suite. Durant 10 ans, la marque donne carte blanche à une équipe de 30 ingénieurs afin de mettre au point un successeur. La relève est assurée lors de l’hiver 2016 avec le HE-1. À cette l’époque, il fut lancé à 50 000 euros, aujourd’hui, il s’affiche désormais à 69 000 euros.

Pourquoi donc un tel prix ? Déjà, très logiquement, ce casque a un coût de développement monstrueux à amortir. Ensuite, il faut bien récompenser la dextérité et le savoir-faire de Damian, un salarié pas comme les autres de l’usine de Tullamore. C’est lui, et lui seul, qui assemble à la main pendant plusieurs semaines les près de 3000 pièces différentes qui composent ce système d’écoute de luxe. Oui, car le HE-1 est un tout de 21 kg qui comprend un casque électrostatique, un amplificateur à tubes et un DAC haute résolution.

© Senheisser

Afin d’assurer une élimination totale des vibrations, le corps de l’amplificateur est sculpté dans du marbre de Carrare. Un matériau rare qui a par exemple été utilisé pour sculpter des chefs-d’œuvre comme la Pietà de Michel-Ange ou encore la Colonne de Trajan à Rome.

Toujours dans une recherche de perfection, les huit tubes de l’amplificateur sont placés dans des cylindres de quartz afin de les maintenir à température constante. Et ainsi, éviter tout élément parasite. De son côté, le casque n’intègre pas d’aimants, mais des haut-parleurs électrostatiques avec une électrode fixe et autre mobile. Pour faire très simple, une tension continue entre les deux crée un champ électrique qui déplace l’électrode mobile.

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Ainsi, cette dernière peut rayonner sur l’ensemble de la gamme de fréquences audio. Et donc apporter une richesse d’écoute hors norme. Pour preuve, la réponse en fréquence s’étale de 8 Hz jusqu’à plus de 100 kHz. De plus, le HE-1 dispose à ce jour du plus faible taux de distorsion harmonique au monde. Soit 0,01% pour une pression acoustique de 100 dB.

Il serait possible de continuer longtemps sur les caractéristiques uniques de ce casque. Cependant, une dernière information glanée m’a à la fois étonné et amusé. En plus d’une batterie de tests acoustiques, le HE-1 subit également une épreuve dans une sorte de chambre climatique. Histoire de vérifier qu’il peut bien résister à différents taux d’humidité et de températures. À ce prix, ce serait dommage qu’il prenne un coup de froid ou de chaud…

Que vaut à l’écoute le casque le plus cher du monde ?

Le meilleur pour la fin. Afin de clôturer cette matinée en beauté, Sennheiser m’a proposé une session d’écoute privée. Devant le bac à vinyle, je n’ai pour une fois pas hésité un instant avant de choisir. J’ai foncé sur « The Dark Side of the Moon » des Pink Floyd. Histoire de voir s’il arrive à me transporter jusqu’au UFO Club de Londres à la fin des années 60.

Dès sa mise en marche, le HE-1 entre dans une chorégraphie. L’auditeur comprend alors vite qu’il fait face à un produit d’exception. Je vous laisse admirer…

https://twitter.com/Benchemanfouad/status/1871557241821593613

D’ordinaire, lorsque je teste un produit, j’aime m’étaler sur l’équilibre des basses, des médiums et des aigus. Il n’en sera rien ici. Les notions analytiques de base n’ont pas lieu d’être. Le HE-1 propose une expérience sensorielle si unique, qu’il est difficile d’y apposer de justes mots.

Transformer l’écoute en concert privé, voici la plus grande force des produits audio de luxe.  Dès les premières notes de basse, j’ai eu l’impression que Roger Waters était assis sur mon épaule. Le son était juste, flottant et enveloppant, si bien qu’on ne tente plus de l’analyser, mais on le vit. On ferme les yeux et alors notre imagination prend la relève.

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Souvenirs d’adolescence, sentiment de cocon, bien-être…Puisque chacun a souvent un rapport particulier avec certaines musiques, le HE-1 arrive à en faire ressortir le meilleur. Au bout de 20 minutes avec les yeux fermés, mon compagnon d’écoute a tout de même vérifié si je ne m’étais pas endormi. Ce qui provoqua alors une explosion de rires dans la pièce. S’ensuit alors une bonne demi-heure d’écoute sur des albums de Radiohead ou de Led Zeppelin. Le HE-1 me donne à nouveau l’impression que je redécouvre des musiques que je pensais connaître par cœur.

Je peux comprendre que toutes ces hyperboles soient pour la plupart des gens une manière exagérée de justifier un tel prix. Avec en ligne de mire une fameuse question. Est-ce qu’un casque à 70 000 euros est 1400 fois meilleur qu’un casque à 500 euros ? Sans détour, non. Cependant, il serait honnête également de préciser deux choses.

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La première est que l’ouïe est un sens. Et à partir de là, il est différent d’une personne à l’autre. Un sens s’entraîne, se muscle et gagne en expérience. Si pendant plusieurs semaines, vous avez la possibilité d’écouter votre musique préférée en qualité HD avec le matériel adéquat, mécaniquement, vous décèlerez de nouvelles subtilités sonores. Qu’il vous est impossible de discerner sur un casque à 100 euros en écoutant ce même morceau sur Spotify.

La seconde est que la Hi-Fi est par essence luxueuse. Il y a donc une part d’irrationnel, de fascination, mais aussi d’ostentation, à dépenser autant d’argent dans de tels objets. Un peu comme les personnes qui sont capables de mettre des sommes folles dans une voiture de collection. Ou pour aller dîner dans un restaurant triplement étoilé.

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L’exemple le plus parfait me fut apporté l’après-midi même. Pour compléter ce séjour, Sennheiser nous a alors conviés à une visite de la distillerie de Tullamore. Si mes autres collègues journalistes pouvaient lors des dégustations se lancer dans de grandes diatribes aromatiques, il n’en fut rien pour moi. Et c’est normal, car je n’ai pas encore assez entraîné, musclé et fait gagner de l’expérience sur ce sujet à mes sens du goût et de l’odorat. Ou tout simplement que je ne l’ai pas voulu. À quoi bon payer une bouteille 500 euros ? Que ce soit dans le whisky, dans la musique ou pour tout autre plaisir sensoriel, chaque domaine à ses fanatiques.