C’est dans la forêt de Notre-Dame, sa charpente de chêne, qu’avait pris l’incendie, accidentel. Rebâtir Notre-Dame de Paris – David Bordes
Cinq ans et demi après l’incendie qui a ravagé la cathédrale, le 15 avril 2019, l’édifice est rendu ce week-end au public et au culte, à l’occasion d’une inauguration d’envergure mondiale. Récit.
“Ce sont des moments que j’essaye d’oublier, glisse Marie-Hélène Didier, après un lourd soupir. D’effroi, de désespoir et de détresse, assez affreux.” Ce soir du 15 avril, il y a cinq ans, la conservatrice des Monuments historique est entrée dans la cathédrale embrasée et les images de la tragédie défilent dans sa mémoire. Le gros échafaudage qui se monte à l’extérieur pour “les travaux de la flèche”, dont “on a retiré les statues quatre jours avant”, un genre de miracle, les pompiers “qui avaient déjà enlevé tout ce qu’ils avaient pu ramasser” et les “objets du trésor” qu’elle saisit, bras chargés, pour les “emmener à l’hôtel de ville. Je suis rentrée chez moi à 2 h du matin, dit-elle. Quand je me suis réveillée, j’ai demandé à mon mari si la cathédrale était encore debout. Il m’a répondu : “Oui, le feu est éteint”. J’y suis retournée tout de suite” et, depuis lors, jour après jour.
Des cinq années et demie de la reconstruction de Notre-Dame, Marie-Hélène Didier n’a raté la moindre étape. Les marchés de travaux qui “passaient sur mon bureau pour avis”, au titre du “contrôle scientifique et technique” exercé par la Direction des affaires culturelles d’Île-de-France. Les décisions relatives aux œuvres d’art, placées sous la responsabilité directe de la Drac, et “le suivi de leur restauration“. Et la première mission entre toutes : sauver l’édifice.
Le feu a mis à mal l’équilibre délicat de forces qui traversent les murs de la monumentale cathédrale et permirent, en 1163, aux maîtres bâtisseurs de “lancer la course au gigantisme” qu’elle a initiée au Moyen Âge, rappelle l’historien de l’architecture religieuse Mathieu Lours : “C’est la première fois que l’on va au-delà de 30 m sous plafond, que l’on atteint 120 m de long, avec cinq vaisseaux.” Le feu a brûlé les charpentes et la flèche. Leur couverture de plomb a fondu et des voûtes, sous l’effet du poids, de la chaleur, des chocs, se sont écroulées, rompant les équilibres au risque d’effondrer l’entière église parisienne.
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000L’Élysée jamais très loin du chantier
“Je suis nommé le 1er septembre”, se souvient Laurent Roturier. Le Drac d’Occitanie vient de Montpellier pour prendre les commandes des Affaires culturelles d’Île-de-France. “On est en mesure de péril, un arrêté a été pris en ce sens, et, jusqu’au 15 janvier 2020 – l’établissement public Rebâtir Notre-Dame n’a été créé que le 1er décembre – il nous appartient de prendre les mesures d’urgence, stabiliser l’édifice. La Drac a engagé plus de 50 millions d’€ pour ça”, finançant notamment les 52 cintres de bois colossaux qui soulageront arcs-boutants et voûtes jusqu’en octobre 2024. “Je garde en tête l’image de la grue qui les manutentionne à ma première visite, ma sidération face aux dégâts et, en même temps, la mesure de l’ampleur de la tâche et de me dire : “Il faut qu’on arrive à le faire en cinq ans”.”
Le dallage de la cathédrale arbore désormais un damier en pierre du Hainaut. Rebâtir Notre-Dame de Paris – David Bordes
Le Président Macron a fixé une échéance : 2024. L’homme qu’il désigne pour barrer le chantier jusque-là est un général retraité, mélomane, natif d’Occitanie et ancien de l’École d’application de l’infanterie de Montpellier, à la voix de stentor, au sourire pétillant. Jean-Louis Georgelin a son bureau à l’Élysée, signe que le chef de l’État ne perd jamais le sujet des yeux, et son adjoint, Philippe Jost, mêle sa rationalité de mathématicien, ses qualités d’ingénieur de l’armement, à sa sensibilité d’ancien étudiant de l’École du Louvre.
Cet attelage va s’avérer celui de “deux maîtres d’ouvrage remarquables, juge Mathieu Lours, auteur de Rebâtir Notre-Dame de Paris, le livre officiel qui lui a offert de suivre régulièrement le chantier. Ils ont su le phaser, faire travailler ensemble les corps de métier, avec toujours une attention à l’humain”, aidés d’un Philippe Villeneuve, l’architecte en chef, bienveillant. “On a été mis dans les conditions idéales pour faire le meilleur travail”, témoigne l’Aveyronnais Quentin Muller, président de Vermorel. Son sculpteur, Nicolas Clerget, parle de la “communauté voulue par Philippe Villeneuve”, une communauté animée “par une énergie très positive, tendue vers un objectif commun. On a tous été portés…”, dit Quentin Muller.
Les talents et l’argent
La France, “pays d’excellence patrimoniale”, pointe Mathieu Lours, a les talents pour traduire dans le bois, la pierre et le fer le dessein présidentiel devenu l’attente d’un pays, hors toute considération religieuse. “Je n’avais aucun doute sur ce sujet”, enchérit Marie-Hélène Didier.
De surcroît, l’argent est là, très vite et massivement, qui permet de mener de front les diverses phases : sécurisation, dépollution, nettoyages, restaurations, reconstruction. “On était payé sous quinze jours”, sourit un artisan, pas toujours habitué à ça. “Quand j’ai vu l’élan de générosité, les sommes récoltées, je me suis dit : “Pourquoi pas, on peut le faire””, reprend l’universitaire Mathieu Lours.
La loi du 29 juillet 2019, qui crée notamment l’établissement public Rebâtir Notre-Dame, “tord” les procédures des marchés publics pour accélérer le pas et les polémiques ne l’entravent guère au-delà de l’écume des mots.
Remettre la cathédrale à “l’état” Viollet-le-Duc ? “La charte de Venise dit que l’on restaure dans le dernier état connu et on avait toute la documentation pour le faire“, relève Laurent Roturier. “L’identique s’impose quand la qualité de l’œuvre originale est telle !, poursuit Mathieu Lours. À l’intérieur, vous aurez des éléments contemporains : le baptistère, le reliquaire, le tabernacle, du mobilier…”
Les vitraux ? “La Commission nationale du patrimoine et de l’architecture a voté contre, en juillet, à l’unanimité.” Et puis le mobilier liturgique, les chaises, l’entrée payante… Quant au coq de Philippe Villeneuve, aux ailes de flammes, il a remplacé celui d’origine comme un symbole “que la cathédrale peut renaître de ses cendres, tel le phénix”, justifie-t-il. Et la mort, en 2023, de Jean-Louis Georgelin ne l’a en rien empêché. Elle renaît pour mille ans. “J’espère”, souffle Marie-Hélène Didier.
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