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“La petite fille ordinaire”, la nouvelle de Noël de l’auteur Mendois Gérald Gruhn, illustrée par sa fille Zoé Gruhn

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Émilie, la petite fille ordinaire. Midi Libre – Zoé Gruhn

Comme chaque année, Gérard et Zoé Gruhn sortent leur plume et leurs crayons pour vous proposer une belle histoire de Noël.

Émilie était une petite fille peu ordinaire qui ne rêvait que d’une chose : être une petite fille véritablement ordinaire, comme toutes les autres. Depuis que maman n’était plus, elle vivait avec papa chez grande tante Maximaine, et elle passait ses soirées en tête à tête avec la vieille dame, le soir de Noël n’échappait pas à la règle.

Car Papa travaillait dur toutes les nuits, pas un jour de repos en période de fin d’année. Oui, il y avait un sapin, oui, des guirlandes, oui tante Maxie cuisinait un beau poulet grillé à la cheminée pour le soir de la veillée, mais l’essentiel était là : Émilie se sentait terriblement seule. Noël n’avait aucune magie. Papa n’était pas là, foutu travail, et il rentrait le matin avec un cadeau dans les bras, prouvant par ce cadeau sacrilège que le Père Noël n’existait pas. Émilie aurait tant aimé découvrir une surprise sous le sapin en se levant. Mais non. Rien ne se passait pour elle comme d’ordinaire, avec une maman, un papa, un paquet déposé dans ses chaussons. Rien n’était ordinaire et pour autant, rien n’était extraordinaire. Aussi Émilie décida-t-elle, en ce soir de Noël, de bousculer les habitudes.

Le plan de la fillette était génial. Papa était parti travailler depuis longtemps. Elle attendit l’heure du coucher. Dès que les ronflements de tante Maxie furent aussi réguliers que le soufflet d’une forge, Émilie se leva à pas de loup. Sur le linteau de la cheminée presque éteinte, elle décrocha la clé de la maison où elle vivait, du temps où maman respirait encore, écrivit un mot “ne t’inquiette pas tantine, je reviens demain matin” (en veillant à ne pas faire de faute d’orthographe, raté !). Puis Émilie prit son petit sac d’affaires préparées à l’avance, y fourra sa poupée et sortit. Elle avait tout calculé.

Guidée par une lune blanche et froide, il fallut à la fillette une heure pour se rendre à l’ancienne demeure. D’un tour de clé, elle entra dans la maison et referma à double tour. Elle n’était jamais revenue depuis le déménagement. Elle gratta une allumette et alluma une bougie. Sur les murs, tout était pareil à avant et vacillait sous la lumière de la flamme. Un peu flou aussi, à cause des larmes au bord des yeux. Les draps blancs étalés sur les meubles ressemblaient à des fantômes. Surtout, ne pas ouvrir les volets. “On verra bien si le Père Noël arrive à rentrer dans ma forteresse ! S’il existe, je prends une grande décision, s’il n’existe pas, tant pis, je jette ma poupée dans le puits !”

Sortir de l’ordinaire ? Pourquoi ? Ne valait-il pas mieux d’être soi, tout simplement, sans chercher à ressembler aux autres ? Un pas grand-chose séparait les petites filles ordinaires de celles qui ne l’étaient pas, la frontière appartenait à chacune d’elles.

Comme elle l’avait déjà fait plusieurs fois chez tante Maxie, la fillette fit crépiter une généreuse flambée. Depuis le début de l’automne, parce qu’elle avait perdu sa dernière dent de lait, elle avait le droit de toucher aux allumettes, de ranimer le feu ou d’en démarrer un nouveau. Il faisait terriblement froid, mais rapidement, la pièce se réchauffa. Émilie n’osait pas s’asseoir dans les fantômes des fauteuils. Elle ôta son lourd manteau et installa un coin pour dormir devant la cheminée, sur une pile de coussins. Puis elle ouvrit son petit sac, sortit ses chaussons, les posa devant l’âtre, prêts à accueillir un éventuel cadeau, sa poupée qu’elle serra dans ses bras et voilà.

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Tout était prêt. Allongée devant le feu qui dansait, sous la couverture effilochée de sa maman et à la lumière vive des flammes qui réveillaient les idées tristes, Émilie réfléchissait à sa vie. Elle imaginait une boîte dans laquelle chaque élément était quelque chose dont elle pouvait faire l’inventaire. Il y avait d’abord les devoirs, le cartable, la craie qui grinçait sur le tableau de l’école, le nez qui coule et les doigts gelés le matin. Il y avait la douceur des poils du chat, la couleur bleue de la robe de sa poupée, les sourires de tante Maxie, pareils à du sable dont on pourrait encore construire les palais des princesses. Il y avait Papa qui travaillait toutes les nuits, “parce que c’est la nuit que la magie opère”, disait-il. N’importe quoi ! Comme si Papa était docteur et pouvait opérer quelqu’un !

Une bûche éclata, produisant un feu d’artifice d’escarbilles à la taille de poupée dans le ciel de la cheminée. Émilie se frotta le nez et glissa dans sa boîte imaginaire les bonnes habitudes : la tranche de brioche dans le lait chaud, le chat qui se frotte et ronronne, le jour qui se lève à travers les carreaux de la fenêtre émaillés d’une constellation de cristaux de givre. Et les mauvaises habitudes : les étés sans vacances, les Noël sans Père Noël. Tous les petits plaisirs, aussi, pour se remonter le moral : l’odeur de pain d’épice dans le cou de tante Maxie, la barbe en pagaille de papa, plus sucrée que celles des fêtes foraines. Mais il manquait aussi tant de choses dans la boîte de vie d’Émilie ! Sa maman, un petit frère ou une petite sœur qu’elle n’aurait jamais, un Noël avec un Père Noël et un cadeau dans ses chaussons. Sans le savoir, la fillette dressait le bilan de sa courte vie en mesurant tout dans la balance de son cœur.

Peu à peu, le feu de la cheminée déclina et les paupières se fermèrent. Un lutin mystérieux souffla la dernière flamme et les braises diffusaient une chaleur apaisante. En sa seule compagnie, Émilie n’avait jamais peur, pourvu qu’elle puisse poser la joue contre sa poupée. Peu à peu, malgré les aiguilles de l’horloge immobiles, le temps s’avançait vers le matin, jusqu’à la conclusion de cette nuit solitaire : “Tout n’est pas si mal, à part maman qui me manque trop.” En pensée, la petite fille plongea dans les bras de sa mère et se laissa engloutir dans le trou sans fond du sommeil.

Au petit matin, Émilie se réveilla. Elle n’osait pas ouvrir les yeux. Elle savait que, comme chaque année, pas de cadeau dans ses souliers. Mais bizarre ! À travers ses paupières closes, les flammes dansaient dans l’âtre. Pourtant le feu aurait dû s’éteindre ! La fillette se leva d’un bond. Quelqu’un était rentré dans la maison ! Et surprise ! Posé sur ses chaussons, un paquet dans un papier doré constellé d’étoiles rouges. Elle le prit dans ses bras, comme si elle serrait sa maman contre son cœur.

Le Père Noël était bien venu cette nuit. Ce n’étaient donc pas les papas qui amenaient les cadeaux, mais un vrai monsieur barbu qui descendait dans les cheminées ou traversait les murs ! Comment le Père Noël avait-il deviné qu’Émilie avait posé ses chaussons dans cette maison morte ? Il savait où trouver chaque enfant ! Génial ! La fillette devenait une petite fille ordinaire. Tout dépendait de sa volonté. Et soudain le doute : sortir de l’ordinaire ? Pourquoi ? Ne valait-il pas mieux d’être soi, tout simplement, sans chercher à ressembler aux autres ? Un pas grand-chose séparait les petites filles ordinaires de celles qui ne l’étaient pas, la frontière appartenait à chacune d’elles. Elles pouvaient la franchir par leur seule volonté.

Émilie avait du caractère, elle le prouva sur-le-champ en décidant de ne pas ouvrir ce cadeau exceptionnel. Tel serait son chemin : choisir. Par elle-même. Pour elle-même.

Ce paquet fermé serait la preuve que tout restait possible, et qu’elle chercherait désormais à devenir exceptionnelle. N’importe quelle petite fille ordinaire aurait déchiré le papier avec énergie pour découvrir le cadeau, Émilie aurait la force de résister !

Bon, voilà une grande décision. Il était temps de rentrer à la maison, car tante Maxie devait s’inquiéter. Papa aussi, s’il était rentré du travail. Son paquet sous le bras, Émilie plongea la main dans sa poche, sortit la clé et clac, ouvrit la porte. Dans le jardin, une nouvelle surprise l’attendait : papa trônait sur son grand traîneau attelé de huit rennes épuisés par une nuit de labeur. Tout sourire ! Était-ce une façon d’accueillir une petite fille qui a fugué ? Il aurait dû gronder sa petite fille, mais non. Radieux, mais épuisé, fier et accueillant, il attendait dans son magnifique costume rouge et blanc du travail.

– Viens, je te ramène à la maison. Tante Maxie doit s’inquiéter.
– Papa, regarde, dit-elle en montrant son paquet. J’ai reçu un cadeau.
– Je sais. Qui te l’a apporté ? Ton papa ou le Père Noël ?
– Les deux !
– Tu ne l’as pas ouvert ?

Émilie secoua sa tête de têtue, avec un commentaire désormais taillé dans le granit : “Non. Je ne suis pas une petite fille ordinaire, et j’en suis fière !”

Émilie grimpa à côté de son papa. Le Père Noël fit claquer les lanières de cuir et le traîneau s’envola dans les nuages, vers tante Maximaine qui n’avait pas encore constaté l’absence de sa nièce. Elle préparait un bon gros petit-déjeuner, en pensant à coup sûr : “Mon Émilie est vraiment une petite fille extraordinaire !”

Illustration réalisée par Zoé Gruhn, jeune artiste originaire de Lozère, qui a récemment mis en œuvre des projets collaboratifs tels qu’une fresque participative, et a notamment été félicitée par l’Élysée pour son projet de body painting à l’occasion d’Octobre rose. Pour en savoir plus : @la_pensee_dartiste

Teilor Stone

Teilor Stone has been a reporter on the news desk since 2013. Before that she wrote about young adolescence and family dynamics for Styles and was the legal affairs correspondent for the Metro desk. Before joining Thesaxon , Teilor Stone worked as a staff writer at the Village Voice and a freelancer for Newsday, The Wall Street Journal, GQ and Mirabella. To get in touch, contact me through my teilor@nizhtimes.com 1-800-268-7116

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