Cela fait près de 50 ans que Chico occupe la scène internationale avec ou sans les Gipsy Kings. À Arles, rencontre avec un artiste généreux, "heureux de vivre", aujourd’hui entré dans le patrimoine musical populaire.
Il est rentré tard la veille de Dubaï où il a donné un concert et repart le lendemain pour l’enregistrement d’une émission télé à Paris. Mais il a quand même pris la peine d’acheter des croissants, en dépit de la fatigue et du temps compté dans cette courte journée de relâche. Il est comme ça Chico. Attentif aux autres.
L’entretien commence au coin d’un feu qui crépite, un matin de Mistral glacial, dans sa maison arlésienne où, sur les murs, il a accroché les photos de ses succès et de ses rencontres. Le lieu raconte par ses détails, ses origines orientales et ses passions gitanes. Sa simplicité aussi. Chico parle comme il joue. Vite. Avec un singulier mélange de légèreté et de sérieux.
“C’est Ahmed qui m’a fait découvrir la musique. Du blues, des chansons latinos… Il était très curieux”, commence-t-il. Ce frère tant aimé, il le cite dès le début de la conversation comme pour lui assigner sa place, centrale, et honorer sa mémoire. Ahmed est mort assassiné par erreur par le Mossad devant sa femme enceinte, le 21 juillet 1973, en Norvège où il vivait. Il avait été confondu avec Ali Hassan Salameh, suspecté d’être l’un des responsables du massacre de Munich. Une tragédie indélébile. Peut-il en être autrement ? “Mon frère c’était mon exemple. Il m’a fait découvrir Manitas de Plata avant même que je connaisse la famille Reyes”, continue-t-il.
Premières rencontres avec les Reyes quartier de la Roquette à Arles
Ses fréquentations gitanes naissent à l’adolescence au coin de la rue des Douaniers et des Pilotes, quartier de la Roquette à Arles, se nouent autour de grandes tablées et se soudent aux rythmes des palmas. Ainsi débute la vie de Chico le gadjo. Avant ça il était Jahloul Bouchikhi, fils – “pour toujours” – d’une mère algérienne et d’un père marocain venus chercher une vie de répit et du travail dans la cité arlésienne.
“Avec les Reyes, j’ai découvert une tribu bruyante incroyable. À la fin des repas, ils sortaient les guitares et chantaient simplement pour le plaisir de partager”. Chico apprend par mimétisme. “Un jour je me suis aperçu que je jouais. C’était peut-être un cadeau du bon dieu”. À cette époque, le bon dieu s’appelle Manitas de Plata. Le gitan aux “petites mains d’argent” vit sous les ors d’une célébrité internationale. “Manitas, il est le chemin, la lumière”. C’est avec lui et les frères Reyes qu’il fait sa première scène et sa première télé. Et quand il n’est plus qu’un musicien cacochyme, Chico l’emmène dans ses tournées. Pour Manitas, il est “plein de gratitude”.
BB, “la grande soeur”
Comme pour Enrico Macias et Brigitte Bardot. Ils ont changé sa vie et celle des Gypsy Kings, à la fin des seventies, dans les années bohèmes tropéziennes. “Un jour Enrico nous a vu jouer à Saint-Tropez et nous a proposé de faire sa première partie. Pendant dix jours à l’Olympia, ça a été la folie”. Et le déclic. Chico n’a plus eu aucun doute. Lui et ses compères devaient faire leur vie sur scène.
Brigitte c’est “la grande sœur”. Celle pour qui ils ont joué à l’anniversaire et qui s’est prise d’affection pour Chico et ses amis, allant jusqu’à les accompagner affublée d’une perruque, et danser dans les soirées privées qu’ils donnaient. Avec BB, ils s’appellent encore. “Elle fait partie de la famille”. Et la famille c’est sacré pour Chico.
Le nom Gipsy Kings
Chico est à l’origine du nom des Gipsy Kings. "Gypsy pour gitan et kings pour Reyes", explique-t-il. Mais il a eu dû mal à imposer ce nom au groupe, à la famille et aux professionnels de la musique. "Ma belle-mère Clémentine me disait “tu pourrais garder le nom de Reyes en hommage à mon pauvre mari”. Les gens n’arrivaient pas à le prononcer. Les professionnels de chez Phonogram, me disaient vous n’êtes pas anglais, vous ne faites pas du rock. Mais j’ai tenu bon et j’ai réussi à imposer le nom des Gipsy Kings".
200% Deposit Bonus up to €3,000 180% First Deposit Bonus up to $20,000Le succès a tardé à venir. Le premier album en 1981 reste au fond des bacs. C’est en 1987 que les guitares des Gipsy Kings résonnent à travers le monde, que les ondes diffusent à tout-va leurs flamencos endiablés jusqu’à venir chatouiller les oreilles d’un autre king : Mickaël Jackson, qui serait devenu fan.
Les complaintes andalouses tournent aux dépôts de plainte
“Notre musique est universelle”, donne-t-il comme explication à ce succès qui les dépasse alors. Les tournées enchaînées au rythme effréné de leurs accords virent aux désaccords. La brouille, rétrospectivement, paraissait inévitable. La gestion foutraque du groupe et les producteurs véreux font taire leurs guitares et gueuler les Gypsy. Entre eux, les complaintes andalouses tournent aux dépôts de plainte. Dans un livre (paru en octobre dernier *), Chico met les choses au point sans aigreur avec ses anciens compères et règle surtout ses comptes avec les producteurs, même s’il s’en défend. Il a pardonné mais il n’a pas oublié. “On a dit n’importe quoi, que j’étais parti avec la caisse. Le pire c’est que j’ai eu à me justifier de ces mensonges”.
Bardot, Clémentine et les autres
Les femmes tiennent une place importante dans la vie de Chico. Pas seulement Marthe, son ex épouse et la mère de quatre de ses enfants, ou Brigitte Bardot. Il y a aussi la baronne de Rotschild "qui nous a éduqués" ou son ex belle-mère Clémentine qui a beaucoup compté. "La femme c’est le socle de l’homme. On croit toujours que ce sont les hommes qui mènent la vie alors que ce sont les femmes. Les respecter c’est respecter nos mères, nos sœurs".
Pendant près de 30 ans, il est resté fâché avec la famille Reyes. Alors même qu’il avait épousé leur sœur, Marthe, avec qui il a eu quatre enfants. “Depuis quelques mois, on s’est retrouvés avec Nicolas Reyes, mon ex beau-frère. Lui et les autres se sont rendus compte que tout ça c’était pour rien, que je voulais juste les sauver.” La réconciliation devrait permettre de “nettoyer la place. Il y a au moins dix groupes qui tournent sous le nom de Gipsy Kings et qui n’ont pas le droit de le faire ! Qui imaginerait dix groupes de Rolling stones ?” De là à envisager se retrouver sur scène… “La vie est tellement pleine de surprises. Pourquoi pas…”
Ambassadeur pour la paix durant 25 ans
Ironie de la vie, Chico a été, durant 25 ans, ambassadeur pour la paix pour l’Unesco, sans avoir pu faire la sienne dans sa propre famille. Drôle de destin quand même quand on connaît les aventures qui ont précédé sa mission de messager de la paix. Un jour, il se retrouve à chanter pour le premier anniversaire des accords de paix d’Oslo. A la fin du concert, Itzhak Rabin et Yasser Arafat montent sur scène ; les deux représentants de l’histoire tragique de son frère Ahmed, lui serrent la main. L’ instant est immortalisé. “Cette photo c’est l’image du pardon”. Ce moment n’aurait jamais dû avoir lieu : “Ce jour-là ce sont les anciens copains qui devaient y aller et ils ont fait faux bond !”
Toutes ces aventures ont fait de lui ce qu’il est aujourd’hui : “Chaque rencontre est comme un maillon qui forme une chaîne de vie, la chaîne de ma vie”, liée à Arles “de manière viscérale”. Il y a ouvert Le Patio de Camargue, un lieu de spectacle où il se produit une fois par mois à guichets fermés.
Un projet avec Netflix
Fraquito a rejoint Chico et les Gypsies depuis quelques temps. "Chico c’est vraiment quelqu’un de bien", s’empresse-t-il de dire. Avec lui, il vient d’achever une tournée dans les églises. Ils s’envoleront ensuite pour le Japon en février où ils joueront durant dix jours à Tokyo. D’ici quelques mois, France Télévisions diffusera un documentaire en trois épisodes sur l’histoire des Gipsy Kings. Enfin, la vie extraordinaire de Chico a séduit Netflix qui travaille à un docu-fiction. Son fils Mario pourrait bien jouer le rôle de son père.
Aujourd’hui, la relève gipsy s’appelle Mario, son fils de 20 ans. “Il est beau, gentil, respectueux. C’est un exemple à tous les points de vue. On dirait qu’il a été choisi”. Chico se réjouit parce qu’il lui vole la vedette. Il se fout aujourd’hui de sa célébrité. Il veut juste continuer à partager des émotions avec sa musique. “Vous savez, au fond je ne suis personne. Je suis Chico, qui veut dire petit garçon… qui est heureux de vivre”.
* “Chico, sous les étoiles gitanes”, éditions Robert Laffont. 236 p. 19,90 €. Je m’abonne pour lire la suite