Soyez les bienvenus dans PC-Files, votre nouveau rendez-vous mensuel dédié à la science. Ou plutôt à l’explication de l’irrationnel par la science. Paranormal, occultisme, peurs collectives ou légendes urbaines modernes en tout genre, tous ces phénomènes passeront l’exercice de l’analyse critique. Pour ce premier épisode de PC Files, plongez avec nous dans le grand mystère des fantômes.
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Un bruit inexpliqué dans une maison silencieuse, une ombre furtive aperçue du coin de l’œil, le sentiment inexplicable d’une présence dans une pièce vide… Ces expériences, vous les avez probablement vécues. Face à ces phénomènes étranges, notre esprit bascule rapidement vers l’hypothèse surnaturelle, perpétuant une croyance vieille comme l’humanité : les fantômes. Mais que nous disent réellement ces manifestations sur notre cerveau et notre société ? À l’heure où les vidéos d’apparitions envahissent encore les réseaux sociaux et où les émissions de « ghost hunting » se multiplient, il devient de plus en plus urgent de démêler le vrai du faux.
Dans ce premier volet de notre série PC-Files, embarquez avec nous dans un voyage troublant, à la frontière des neurosciences et de l’anthropologie, pour comprendre pourquoi, en 2025, nous continuons à voir des fantômes. Même si aucune preuve scientifique établie n’a encore démontré que ceux-ci sont parmi nous, ces croyances perdurent et restent profondément ancrées chez certaines personnes.
En explorant cette thématique, nous ne chercherons pas à nier l’existence d’expériences inexpliquées, mais plutôt à les comprendre sous un angle rationnel. Car, si les fantômes n’existent pas, ce qu’ils nous apprennent sur notre cerveau, notre perception et notre rapport au monde nous concernent tous, sans exception.
La construction historique d’une croyance universelle
Nos ancêtres ont commencé à théoriser l’existence des fantômes dès les premières civilisations, autour du IIIᵉ millénaire avant notre ère. L’Égypte antique nous offre l’un des premiers exemples d’une conception élaborée de l’au-delà ; ses habitants ne voyaient pas la mort comme la fin complète de l’individu.
Les prêtres égyptiens distinguaient plusieurs composantes de l’âme, dont le « ka » et le « ba », chacune jouant un rôle précis dans l’existence post-mortem. Le « ka » , force vitale invisible, nécessitait des offrandes régulières pour subsister. Sans ces offrandes, il risquait de devenir une entité errante et malveillante, terrorisant les vivants pour obtenir la nourriture spirituelle dont il était privé.
Le « ba », représenté sous forme d’oiseau à tête humaine, possédait la faculté unique de voyager entre le monde des morts et celui des vivants. Lorsque les Égyptiens mouraient, ils croyaient que le « ba » pouvait quitter le corps du défunt, s’envoler et permettre à ce dernier de continuer d’exister d’une certaine manière dans l’au-delà.
Représentation artistique sur le papyrus de Neferoubenef illustrant le moment où le Ba, l’âme, et le Shat, l’ombre, quittent le tombeau pour rejoindre l’au-delà. © Soutekh67 / Wikipédia
Les tombeaux égyptiens regorgeaient d’avertissements adressés aux potentiels profanateurs, menaçant les intrus de malédictions et d’apparitions vengeresses. Avec nos yeux modernes, on pourrait voir ces inscriptions comme de la superstition, mais elles s’inscrivaient dans un système théologique extrêmement complexe, où la préservation de l’harmonie entre les mondes visible et invisible était primordiale.
Les Grecs, quant à eux, associaient particulièrement les manifestations spectrales aux morts violentes ou prématurées. Les victimes de meurtres, les suicidés, les personnes décédées avant le mariage ou l’enfantement étaient considérées comme particulièrement susceptibles de devenir des esprits vengeurs. L’Odyssée d’Homère (chant X) nous en offre une illustration saisissante à travers l’histoire d’Elpénor, ce marin mort accidentellement qui apparaît à Ulysse pour supplier son ancien capitaine de lui offrir une sépulture digne.
L’avènement du christianisme dès ses premiers siècles (Iᵉ-IVᵉ) a profondément transformé la conception des manifestations spectrales en Occident. L’Église catholique médiévale a développé progressivement son propre système théologique notamment à travers le concept du purgatoire. Ce lieu intermédiaire, ni paradis ni enfer, était peuplé d’âmes en attente de purification qui pouvaient parfois se manifester aux vivants.
Représentation des âmes tourmentées dans le purgatoire dans la cathédrale de Bad Wimpfen (Allemagne), datée de 1519. © Peter Schmelzle / Wikipédia
La période victorienne marqua un tournant décisif dans notre rapport aux fantômes. L’émergence du spiritisme au XIXᵉ siècle, porté par les sœurs Fox aux États-Unis, a transformé les manifestations spectrales en objet d’investigation pseudo-scientifique. Les séances de spiritisme, mêlant croyances religieuses et prétentions scientifiques, attiraient aussi bien les classes populaires que l’élite intellectuelle. Même des scientifiques renommés comme William Crookes, physicien et chimiste britannique, se sont penchés sur ces phénomènes, tentant d’appliquer les méthodes de la physique à l’étude des manifestations paranormales.
Cette fascination pour les fantômes n’a pas faibli avec la modernité. Le XXᵉ siècle a vu l’émergence de nouvelles formes d’enquêtes paranormales, utilisant des technologies toujours plus avancées : détecteurs EMF (ElectroMagnetic Field), caméras thermiques, ou enregistreurs EVP (Electronic Voice Phenomenon). Les émissions de télé-réalité consacrées à la chasse aux fantômes ont popularisé ces pratiques, particulièrement aux États-Unis, créant un véritable genre médiatique.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont pris le relais, TikTok et YouTube regorgeant de milliers de vidéos d’apparitions présumées, souvent filmées avec des smartphones ou des caméras de surveillance (voir l’exemple ci-dessous, un parmi tant d’autres). Bien que généralement truqués ou simplement analysés sous un prisme sensationnel, ces contenus viraux sont le symptôme parfait de l’adaptation de ces croyances aux codes de la culture numérique.
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Mécanismes neurologiques et illusions sensorielles
Après ce petit point historique, penchons-nous désormais sur l’origine de nos réactions face aux manifestations que nous ne comprenons pas. Prenons un exemple : lorsque vous entrez dans une pièce sombre et que vous percevez soudain un mouvement furtif, votre cerveau passe immédiatement en état d’alerte. Cette réaction instinctive, héritage de notre évolution, peut transformer une simple ombre en apparition fantomatique. Mais comment la science explique-t-elle ces expériences qui nous semblent si réelles ?
Commençons par expliquer un phénomène fascinant : la paréidolie. En tant qu’être humain, votre cerveau est programmé pour reconnaître des visages et des silhouettes, même là où il n’y en a pas. Cette capacité, essentielle à notre survie primitive, explique pourquoi vous « voyez » parfois un visage dans les motifs d’un papier peint, dans les nuages ou une silhouette dans les plis d’un rideau. Dans la pénombre, ce mécanisme s’intensifie, transformant les formes les plus banales en présences inquiétantes.
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Le cerveau humain excelle également à remplir les formes incomplètes, un processus appelé « closure perceptive ». Des recherches en psychologie cognitive ont révélé que lorsque nous percevons des informations sensorielles incomplètes, notre organe cérébral les vide automatiquement en se basant sur nos expériences passées et nos attentes. Dans un environnement sombre ou peu familier, ce mécanisme peut transformer des stimuli ambigus en perceptions structurées que nous interprétons comme des présences.
Les émotions, particulièrement la peur, modifient profondément notre perception. Des études utilisant l’IRM fonctionnelle ont montré que l’activation de l’amygdale, centre de la peur dans le cerveau, augmente la sensibilité de notre système visuel et auditif. Le livre Le cerveau émotionnel ou la neuroanatomie des émotions de Françoise Lotstra explique parfaitement ce processus. « LeDoux (1994) nous donne l’exemple du promeneur dans un bois, percevant via son thalamus, l’image floue d’un bâton qui pourrait s’avérer être un serpent ; le thalamus active l’amygdale qui enclenche à son tour les réactions corporelles de la peur » écrit-t-elle dans cet extrait consultable sur Cairn.Info.
Dans un état d’anxiété, nous devenons hypersensibles aux stimuli environnementaux, interprétant des événements ordinaires comme des signes de danger potentiel. Ce phénomène, essentiel à notre survie évolutive, explique pourquoi nous « voyons » plus facilement des fantômes quand nous avons peur. La vidéo ci-dessous de cette femme visiblement terrifiée par les bruits de sa maison en est un exemple criant.
@nosleeptonighttv
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L’attention sélective joue également un rôle dans ces réactions. Des expériences en psychologie cognitive ont démontré que lorsque nous nous attendons à voir quelque chose de particulier, notre cerveau devient plus susceptible de détecter des patterns correspondant à ces attentes, même dans des stimuli aléatoires. C’est ce qu’on appelle le biais attentionnel et il explique pourquoi les personnes qui croient aux fantômes rapportent plus souvent des expériences paranormales.
Les conditions environnementales peuvent aussi amplifier ces phénomènes perceptifs. La fatigue, le stress ou la désorientation spatiale (courante dans les grands bâtiments à l’agencement complexe et à l’ambiance oppressante, comme le montre cette courte vidéo en bas du paragraphe) perturbent notre capacité à traiter correctement l’information sensorielle. Notre cerveau, cherchant à maintenir une représentation cohérente de l’environnement, peut alors générer des interprétations erronées des stimuli perçus.
@vagondelmiedooficial
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Certes, ces mécanismes neurologiques et cognitifs sont bien moins spectaculaires que les explications paranormales. Ils sont toutefois la preuve irréfutable que nos systèmes perceptifs, optimisés par l’évolution pour notre survie, peuvent parfois nous conduire à interpréter de manière erronée certains phénomènes naturels.
L’anthropologie des croyances spectrales : une nécessité sociale et cognitive
Comment expliquer que ces croyances, en apparence irrationnelles à l’ère des satellites et de l’intelligence artificielle, conservent une telle emprise sur notre imaginaire collectif ? Pour cela, il faut aller chercher du côté de l’anthropologie cognitive et de la psychologie évolutionniste, deux champs disciplinaires qui nous apporteront quelques clés de compréhension.
Dans son ouvrage Et l’homme créa les dieux (2001), l’anthropologue Pascal Boyer a démontré que notre cerveau est naturellement prédisposé à détecter des agents intentionnels dans notre environnement. On pourrait définir ces agents comme tout ce que nous percevons comme ayant une intention, une volonté propre et la capacité d’agir de manière autonome. Cette hypersensibilité à la détection d’agents (HADD – Hyperactive Agency Detection Device), développée comme mécanisme de survie, nous pousse ainsi à attribuer des intentions et une conscience à des phénomènes naturels. Ainsi, un bruissement de feuilles devient potentiellement le signe d’une présence maléfique, un craquement nocturne se transforme en pas d’une potentielle entité.
Cette prédisposition cognitive s’articule avec un besoin fondamental de donner sens à la mort, phénomène que l’anthropologue Maurice Bloch qualifie de « paradoxe cognitif » dans son ouvrage L’Anthropologie et le défi cognitif (2013). Notre conscience nous permet de concevoir notre propre mortalité tout en nous rendant incapables d’imaginer concrètement notre non-existence. Cette tension cognitive crée un terreau fertile pour l’éclosion de croyances en une forme de continuité post-mortem.
Les fantômes remplissent également une fonction sociale essentielle en tant que gardiens symboliques des normes morales. Dans Les Revenants : Les vivants et les morts dans la société médiévale (1994), l’ethnologue Jean-Claude Schmitt nous a montré comment les récits d’apparitions ont servi historiquement à renforcer les codes moraux des sociétés. Les esprits vengeurs, les âmes en peine, les revenants expiant leurs fautes : autant de figures qui rappellent les conséquences de la transgression des normes sociales.
La dimension thérapeutique des croyances spectrales ne doit pas être négligée, car elle est tout aussi importante que les autres. Dans Death, Grief and Mourning (1965), l’anthropologue Geoffrey Gorer souligne leur rôle de pilier émotionnel dans le processus de deuil. La possibilité d’une communication avec les défunts, même imaginaire, permet de maintenir un lien symbolique apaisant la douleur de la perte. Ces croyances procurent un cadre culturel structurant pour gérer le trauma de la séparation définitive.
Dernier point, les manifestations spectrales jouent également un rôle épistémologique fondamental dans notre rapport à l’inexpliqué. Elles nous aident à construire notre connaissance du monde, même si cette connaissance est parfois erronée ou incomplète, un aspect abordé par l’anthropologue David Hufford dans The Terror That Comes in the Night (1982). Les fantômes nous servent de lien pour intégrer dans notre vision du monde des expériences qui défient notre compréhension rationnelle. Face à des phénomènes inexpliqués, le recours au surnaturel offre un ensemble interprétatif de codes qui préserve notre sentiment de contrôle sur notre environnement, qui nous apparaît parfois comme chaotique et imprévisible.
Les fantômes se présentent donc à nous comme des faits sociaux spécifiques, incarnant ce que nous pourrions nommer une catégorie résiduelle de l’entendement collectif. C’est-à-dire tout ce qui, dans une société ou un groupe donné, n’est pas explicitement codifié ou institutionnalisé, mais qui influence tout de même les comportements et les représentations des individus. Le XXIᵉ siècle est profondément marqué par le positivisme scientifique et la techno-rationalisation, deux visions qui structurent la pensée sociale, mais simplifient aussi la complexité du monde. Fantômes, spectres ou esprits, participent donc d’un espace de croyance qui, tout en s’accommodant de la rationalité dominante, préserve un espace pour l’ineffable. Croire que la persistance de ces manifestations surnaturelles relèverait seulement d’une simple survivance archaïque est une pensée bien trop réductrice. Cette dernière sert un but précis : maintenir, dans les sociétés, au sein même de leurs structures les plus rationalisées, des zones d’indétermination nécessaires à la reproduction du lien social et à l’expression des angoisses collectives.
- Les fantômes existent dans toutes les cultures depuis l’Antiquité, portés par des croyances religieuses, sociales et historiques qui ont évolué avec le temps.
- Notre cerveau, à travers des biais cognitifs et des mécanismes perceptifs comme la paréidolie ou l’hypervigilance, nous fait voir des formes et entendre des sons interprétés comme paranormaux.
- Ces croyances nous offrent des outils pour encadrer des événements douloureux comme le deuil ou la mort, de structurer les normes morales et de donner du sens à des événements inexplicables.