Scandale des eaux minérales : à Perrier, les sénateurs veulent faire lumière “sur une fraude”

Les sénateurs Ouizille, Burgoa, Guhl et Grand, ce vendredi dans le Gard. L.T.

Une commission d’enquête a délocalisé ses travaux dans le Gard pour tenter de comprendre comment Nestlé a trompé – et trompe encore ? – les consommateurs sur la qualité de ses eaux.

Le groupe Nestlé s’est-il rendu coupable de fraude sur son site emblématique de Perrier à Vergèze ? Pour les sénateurs de la commission d’enquête “eaux minérales”, venus ce vendredi dans le Gard dans le cadre de leurs travaux sur les infractions de la filière révélés par les médias en janvier 2024, la réponse est limpide : “Oui, il y a eu fraude“, a répondu du tac au tac la sénatrice Antoinette Guhl, au terme d’une série de rencontre avec des acteurs locaux du dossier. “Une fraude à l’étiquette de manière certaine, puisque l’eau minérale naturelle a longtemps subi des traitements interdits ; une fraude sur la qualité de l’eau, des puits ayant été déclassés. Personne ne le conteste”.

Le rapporteur de la commission d’enquête, Alexandre Ouizille, qui la veille avait mis sur le grill le préfet du Gard et le directeur régional de l’ARS, a d’ailleurs raconté que lors de la visite de l’usine le matin, il leur a été montré les armoires coulissantes qui, pendant des années, “ont caché aux autorités sanitaires les dispositifs illégaux de traitement de l’eau minérale brute”. En toute transparence ? “Sur ce passé, un passif plutôt, Nestlé a tout de même du mal à répondre. Leur avocat a demandé aux salariés que nous interrogions de ne répondre à aucune question sur ces sujets“, a-t-il ajouté.

Plus flou que fou

Perrier, c’était donc plus flou que fou… Et la question est aujourd’hui de savoir si une fraude perdure. Toujours pour le sénateur Ouizille, décidément pétillant sur le sujet, il est toujours impossible de dire aujourd’hui, au regard de la réglementation en cours, que Perrier produit bien une eau minérale naturelle. “Pour moi, c’est non. Les traitements illégaux (filtres à charbon et UV, NDLR) ont certes disparu, mais il reste cette microfiltration à 0,2 micron, en place à de nombreux points de production. A-t-elle un effet de désinfection ? Pour la direction générale de la Santé, c’est oui. Pour le préfet du Gard, la réponse est plus compliquée. Pour Nestlé aussi. On veut sortir de cette complexité à l’issue de nos travaux. Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’arrêté qui autorise la pratique”, a martelé Alexandre Ouizille. CQFD ?

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La présence de ces microfiltres pose d’ailleurs plus globalement la question majeure de la qualité des eaux brutes des nappes souterraines. Sont-elles encore en capacité de produire cette eau minérale naturelle qui a fait la réputation de Perrier à travers le monde ? “Trois hydrogéologues ont été mandatés par l’État pour aller au bout de cette question de la pureté sur les sites”, a encore évoqué le sénateur. Leurs conclusions sont très attendues, tant elles guideront l’avenir du site.

Un sentiment “d’ouverture”

Nestlé Waters semble d’ailleurs avoir anticipé en déclassant deux forages, en 2023, et produire ainsi l’eau de boisson “Maison Perrier” qui ne répond pas aux mêmes normes de production et peut, elle, être traitée. “Ce qui pose une question spécifique au site de Vergèze : comment s’assurer qu’on n’utilise pas de l’eau de boisson pour remplir les bouteilles d’eau minérale naturelle ?”, a interrogé Antoinette Guhl. Sur ce point, les élus ont été rassurés lors de la visite “et Nestlé s’engage à faire la démonstration de son mécanisme de contrôle aux autorités sanitaires“.

Pour le président de la commission Laurent Burgoa, sur ses terres ce vendredi, cette journée a d’ailleurs permis de mettre de l’huile dans les rouages. “C’était un peu crispé au début, mais on a senti chez Nestlé un sentiment d’ouverture. La présidente s’est dite prête à travailler avec la commission d’enquête”. Les élus ont eux-mêmes assuré, à leurs interlocuteurs comme aux syndicats ou aux élus locaux rencontrés l’après-midi, leur souci “de maintenir l’activité économique. On sait combien c’est primordial”. Perrier emploie 1 000 salariés.

Léthargie, arbitrages politiques…

Pour autant, Alexandre Ouizille veut aller au bout de la démarche et débusquer tous les rouages d’une affaire marquée par “une défaillance du système de contrôle”, “une forme de léthargie administrative” et “des arbitrages politiques contre l’avis du directeur général de la santé”. “Ça fait des années que ça dure et rien n’a été réglé”, tance-t-il, promettant, comme son collègue Burgoa, d’auditionner d’ici le 20 mai tous les acteurs qui auraient joué un rôle dans ce dossier. “Y compris à l’Élysée si nécessaire. On doit pouvoir comprendre comment une telle fraude a pu avoir lieu”.

Nestlé Waters réagit et demande… l’autorisation d’utiliser les microfiltres

Jusque-là discrète, la directrice générale de Nestlé Waters, Muriel Lienau – présente pour accueillir les sénateurs – a réagi pour la première fois vendredi. Interrogée par l‘AFP, elle a d’abord assuré que "la sécurité sanitaire des consommateurs a toujours été assurée". De même, dit-elle, "la composition minérale de nos eaux n’a jamais été altérée". "Il peut y avoir des déviations très sporadiques", notamment dans le Gard après des fortes pluies, mais "les contrôles permettent de stopper un forage si besoin". Selon elle, la microfiltration utilisée par le groupe Nestlé Waters, "à cartouche à 0,2 micromètre" a les mêmes effets que celle "céramique à 0,8 micromètre autorisée par l’Afssa. Ce ne sont pas des moyens de désinfection". "C’est comme ça qu’on garantit la sécurité alimentaire, d’ailleurs, on ne recommande pas à qui que ce soit dans l’industrie d’opérer sans cette microfiltration", ajoute la directrice de Nestlé Waters, demandant son autorisation par la France, sinon "une clarification" de la réglementation européenne.

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